1 - Addiction vs dépendance
Le terme dépendance est couramment employé pour parler de l’usage d’une substance psychoactive dont l’absence de consommation conduit à un malaise psychique, voire physique, incitant le consommateur à reprendre sa consommation et à la pérenniser.
C’est le cas en ce qui concerne l’héroïne. L’héroïne donne énormément de plaisir la première fois. Puis le jour où le consommateur va arrêter car il y a une accoutumance, il y a moins de désir, il aura des difficultés. Car il en est déjà prisonnier et le fait de ne pas pouvoir l’utiliser va amener de la souffrance. Dans ce cas il va devenir dépendant de sa consommation, non pas pour avoir du plaisir, mais pour ne pas souffrir.
Le terme addiction est plutôt retenu pour regrouper les toxicomanies et les dépendances sans produits. Dans les années 1970 dans les pays anglo-saxons, on a montré que la notion de dépendance englobe aussi les « toxicomanies sans drogue». L’addiction est une relation de dépendance plus ou moins aliénante pour l’individu, et plus ou moins acceptée voire parfois totalement rejetée par l’environnement social de ce dernier.
On peut être dépendant à :
- un produit : drogue, tabac, alcool, médicaments…
- une pratique : jeu, achat, sexe, Internet…
- plus récemment on a mentionné la possibilité d’une addiction à tout ou presque : le travail (workaholisme), le sport (bigomanie), etc.
Qu’est ce qu'une dépendance ? Pour définir une dépendance on retient trois éléments :
- L’usage. C’est l’usage répété avec altération du fonctionnement et désarroi. C’est à dire qu’il y a une souffrance par rapport à cet usage. Souffrance qui est personnelle mais aussi environnementale (la famille, les amis, le travail). Et la souffrance pourrait être pour soi même ou pour les autres. On est dans un domaine ou il y a trois types d’interaction : interaction entre moi et moi, interaction entre moi et les autres et interaction entre moi et le monde. Si une de ces catégories se trouve abimée il y aura des conséquences sur les autres, parce que toutes ces interactions sont dépendantes les unes les autres.
- Tolérance. (effet Mithridate). Avec tous les types de dépendance, à un moment donné à force d’utiliser, le corps s’habitue. Il faudra soit utiliser un autre produit, une autre activité pour avoir la même sensation, soit accroitre la quantité pour obtenir le même effet. Il y aura un effet nettement moindre malgré l’utilisation de la même quantité. Le problème avec la tolérance c’est qu'on finit par s’y habituer.
- Le sevrage. Ensuite on a le phénomène de sevrage qui correspond à la souffrance lorsqu’on arrête une substance/une pratique. Celle-ci peut être physique comme dans le cas de l’héroïne, mais aussi psychique avec des troubles de l’humeur, de la colère, de la souffrance, de la dépression car on n'a plus l’activité, ou on n'exerce plus une activité ou on n'a plus le produit qu’on veut absorber.
A tout cela s’ajoute d’autres phénomènes :
- Prise ou activité exagérée ou plus longtemps que prévu. Par exemple une personne active peut travailler 60 heures par semaine pendant une ou deux semaines à cause d’impératifs. La problématique arrive lorsque cette activité se poursuit pendant longtemps ( 3 mois, 6 mois, 1 an ) et qu’on n'arrive pas à sortir de cet emprisonnement.
- La personne peut faire des efforts pour essayer de diminuer, contrôler cette prise de drogue ou cette activité sans y arriver. Ça c’est un signe avant-coureur qui montre qu’il peut y avoir un problème.
- En ce qui concerne la substance, la personne va mettre beaucoup de temps à l'obtenir ou à récupérer de ses effets.
- Elle va abandonner les activités sociales, professionnelles ou relationnelles à cause de la substance ou à cause de l’activité. C’est à dire que la personne va avoir un déséquilibre entre elle même et sa vie. La famille et les amis vont être négligés. Ce qui faisait sa vie dans le passé va être négligé.
- Et la personne va aussi continuer cette activité de dépendance malgré les problèmes qu’elle va rencontrer dans d’autres domaines de sa vie. Elle va rencontrer des problèmes entre elle et elle, elle va commencer à déprimer, à angoisser, à devenir agressive mais elle va continuer. Ou alors elle va avoir des problèmes avec sa famille, mais elle va continuer tout de même.
C’est comme quand le bateau coule, la personne se rattache à la seule chose qui reste stable devant elle à savoir le mât. Le problème c’est que le mât coule avec le bateau, elle va donc couler aussi avec le bateau.
Pour terminer cette première présentation sur la dépendance et les addictions nous pouvons citer Ivan ILLICH :
« Dans une société de consommation il y a deux types d’esclaves : les prisonniers de l’addiction et les prisonniers de l’envie »
Comprenons par là que ce dont on parle aujourd’hui est très lié à notre société ainsi qu'à son fonctionnement. Nous rappellerons que dans la nature, il n’existe pas d’animaux qui soient dépendants à part quelques éléphants en Afrique ou en Inde qui consomment des fruits fermentés qui les font tituber. Mais un éléphant n’est pas en danger. Dans la nature les animaux qui sont en état d’ébriété ne survivent pas.
C’est la société qui crée cette zone où la personne peut arriver à mettre en place ces comportements. Donc c’est intiment lié à notre société.
2 - Le plaisir
Il y a quatre sensations de base qu’il faut comprendre comme un système de perception et de réaction au monde. « Je perçois le monde d’une certaine manière et j’y réagis, donc j’ai de la peur, la douleur, la colère et le plaisir »
Quelques éléments généraux sur le plaisir
On peut avoir du plaisir avec :
- Le travail
- Internet
- Le sexe
- Les jeux
- Les achats
- Les substances
- La nourriture
- Le vomissement
Toute activité répétée un certain temps peut conduire au plaisir c’est ce qu’on appelle les perversions. On peut donc définir la perversion comme le détournement d’une activité vers l’obtention d’un plaisir.
« Si je me l’autorise, je pourrai y résister ; si je me l’interdis, cela deviendra irrésistible » Giorgio Nardone
Le problème avec le plaisir c’est qu’il y a deux choses qui s’interpénètrent c’est à dire « j’ai une activité qui m’amène du plaisir donc je continu à la faire. Et si j’essai de la diminuer, de la réduire ou de la contrôle, ce que je vais augmenter en diminuant, c’est mon désir pour cette activité. »
Il y aura alors deux choses qui vont se contrebalancer de manière négative : le plaisir et le contrôle du plaisir. Une des voies pour arriver à contourner ce contrôle du plaisir c’est de s’autoriser le plaisir dans certains domaines afin de le rendre moins désirable.
Ce que disent les toxicodépendants à l’alcool c’est:
Il faut accepter d’avoir perdu le contrôle, car en acceptant ceci on se laisse aller et on a moins de désir.
Qu’est-ce qui est fait avec le plaisir ? Quelles sont les tentatives de solution ?
- Contrôler
- Résister
- Eviter d’y penser
- Se distraire
- L’auto-illusion « je le fais parce que c’est bon pour moi et que ça me plait »
3 - Les stratégies pour apprivoiser l’addiction
« L’addiction n’est pas à la portée de n’importe qui, il faut insister lourdement et négliger de nombreux signaux pour y arriver » Jacques Barsoni
C’est à dire qu’au départ il y a un certain enferment dans ma relation avec moi et moi pour arriver à une addiction : c’est moi replié sur moi.
- « Le plaisir est à l’âme ce que le repos est au corps » Saint Thomas d’Aquin. Comprenons par là qu'une stratégie par rapport à la dépendance aux produits ou à une activité est de faire varier les produits, faire varier le plaisir. Le plaisir n’est pas l’ennemi. Dans la vie rien n’est trop bon ou trop mauvais, c’est trop peu ou pas assez qui est le problème, être au milieu n’est jamais le problème.
- « La chose la plus commune, dès qu’on nous la cache devient un délice » Oscar WILDE
- « Le seul moyen de se délivrer d’une tentation est d’y céder » Oscar WILDE
- La stratégie c’est « le faire encore mieux » c’est à dire s’organiser pour avoir plus de plaisir et donc diminuer la fréquence pour augmenter le plaisir. C’est aussi se focaliser sur un moment particulier avec une activité particulière pour en tirer le maximum. En diminuant la fréquence on va augmenter le désir pour ce plaisir et son obtention.
- Rendre la recherche du plaisir encore plus ritualisée. Interrompre la séquence qui porte au plaisir pour le dénaturer. C’est ce qu’on fait notamment avec les dépendances au vomissement. On demande à la personne de consommer comme d’habitude et d’attendre 30mn (au départ) entre le moment où elle avale cette nourriture et le moment où elle va vomir. Le fait d’introduire une période d’interruption entre ces deux activités va détruire le plaisir.
- Ajouter ou varier les plaisirs
- Mettre un peu de réel dans le virtuel pour tout ce qui concerne les dépendances à internet
Christian Moretto est psychothérapeute et formateur à New York. Il a été formé par Giorgio Nardone et est chercheur associé au Centre de Thérapie Stratégique (Arezzo). Aux Etats Unis il a travaillé dans le domaine de l’addiction aux produits (cocaïne, héroïne, alcool, etc.) mais aussi dans d'autres activités (addiction aux achats en ligne, à Internet, au travail).