L'autohypnose et l'utilisation de métaphores sont des techniques complémentaires utiles pour aider les patients à gérer leur douleur, soulignant l'importance d'une prise en charge holistique et personnalisée de la douleur dans la médecine moderne.
Qu’est-ce que la douleur ?
La douleur est une expérience universelle et individuelle, purement subjective sans véritable témoin fiable en dehors d’échelles d'évaluation, dans lesquelles le patient est toujours son propre témoin car il est impossible de comparer son niveau de perception de la douleur à celui d’autres humains, tant les variations interindividuelles sont importantes.
Elle se présente sous de multiples facettes : légères ou intenses, aiguës ou chroniques, avec ou sans séquelles. Les répercussions sur la vie, les activités quotidiennes et le bien être mental tant sur le plan individuel que sociétal peuvent avoir un impact très négatif.
Avec le DMS-5 (manuel diagnostique et statistiques des troubles mentaux), une nouvelle catégorie a été spécifiquement créée pour décrire les personnes chez qui les douleurs ou symptômes physiques occupent une place anormale dans leur vie. Les personnes qui entrent dans cette catégorie ont un symptôme somatique dérangeant comme la douleur sur une période de plus de six mois et l’un des symptômes suivants :
- Pensées disproportionnées et persistantes à propos de la sévérité des symptômes
- Anxiété élevée et persistante au sujet de sa maladie, de sa santé ou de sa douleur
- Dépenses en temps et en énergie excessives en relation avec sa douleur ou aux préoccupations vis-à-vis de sa santé.
En 1968, Melizac et Casey ont défini quatre composantes de la douleur que la Haute Autorité de Santé reprendra à son compte en France :
- Cognitive : elle comprend les processus mentaux qui influencent la perception douloureuse ainsi que les réactions comportementales,
- Affectivo-émotionnelle : elle affecte la perception douloureuse d’un caractère désagréable pouvant aller jusqu’à l’anxiété ou la dépression. L’histoire du sujet et son vécu personnel influencent cette dimension émotionnelle,
- Sensori-discriminative : elle permet l’analyse d’un stimulus nociceptif (nature, intensité, durée et localisation), afin de concevoir une réponse adaptée,
- Comportementale : elle correspond à la façon dont le patient exprime sa douleur. Elle comprend les réactions physiologiques (musculaires, neurovégétatives), les réactions motrices (mimiques, prostration), et les réactions verbales (cris, gémissements).
Douleur aiguë et douleur chronique
Il est important de bien comprendre la distinction entre douleur aiguë et douleur chronique et de prendre le temps de l’expliquer aux patients.
La douleur aiguë ou « douleur symptôme » alerte par son intensité aiguë ou par sa survenue inattendue : un peu comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour la Société Française D’étude et de Traitement de la Douleur, la douleur aiguë a une durée inférieure à trois mois. Comme dans le stress aigu, c’est un puissant signal d’alarme pour le corps en tant que système complexe et performant. Il s’agit d'une perception désagréable qui attire l’attention. Elle avertit le corps des lésions dont il est victime et lui permet ainsi de se protéger de sa destruction en réagissant au mieux et au plus vite face à des stimuli de natures diverses mécaniques, thermiques ou chimiques. Tout comme la peur, la douleur aiguë peut être extrêmement utile pour le vivant pour réagir vite face au danger. Nous sommes ainsi génétiquement programmés pour éviter la douleur et nous rapprocher de ce qui est bon pour notre survie. Chercher à éviter la douleur physique est une réaction physiologique normale. A l’inverse les personnes qui, ne ressentent pas ou très peu les stimuli nociceptifs du fait d’une déficience d’origine génétique des récepteurs centraux de la douleur, mettent très souvent leur vie en danger. Loin d'être une chance pour eux, c’est au contraire une sorte de malédiction en ce sens que cette privation de capteurs sensoriels les rend beaucoup plus vulnérables à leur environnement.
R Danziger qui a consacré un ouvrage à ces patients et parle d’un défaut de l’homéostasie corporelle. En l’absence de symptômes, le système corporel fonctionne merveilleusement en toute autonomie en assurant les grandes fonctions physiologiques : digestion, respiration, circulation sanguine… C’est un peu comme si le corps savait toujours ce qu’il a à faire ! Le fameux « silence des organes » symbolise l’homéostasie ou l’équilibre naturel du système corporel.
La maladie se définit par rapport à la santé. La santé est un état de bon fonctionnement de l’organisme et la maladie au contraire est une altération de la santé. La maladie, selon Claire Marin, philosophe, est une expérience de la vieillesse prématurée. Il en va de même pour la douleur chronique qui amène à nouer avec le corps une expérience inattendue de limitation et même de mutilation. L’impact sur l’image de soi est considérable. La douleur chronique est classiquement une douleur qui dure plus de 3 mois et pour certains même 6 mois, au-delà de la période normale de guérison.
Elle n’est plus considérée comme un signal d’alarme, mais plutôt comme une véritable pathologie à elle seule. On parle alors de « douleur- maladie » ou de « douleur syndrome ». La douleur « maladie » peut avoir d’importantes conséquences psychosociales et constitue une pathologie complexe dans laquelle causes et effets sont souvent étroitement intriqués. Pour l’American Medical Association (AMA) le syndrome douloureux chronique est une douleur persistante ou récurrente, non soulagée par le seul traitement médicamenteux. Il en résulte une régression du statut fonctionnel et relationnel dans les activités quotidiennes. La douleur chronique peut être l’unique plainte du patient ou l’un de ses symptômes dominants qui à lui seul va demander une attention toute particulière de la part du soignant.
Ainsi la douleur chronique dans la fibromyalgie, les tensions musculosquelettiques ou les dorso-lombalgies chroniques, n’est pas simplement un symptôme parmi d’autres et domine le tableau clinique de ces pathologies. Cette douleur « maladie » est fréquente et selon la première enquête multicentrique européenne réalisée en 2006 : Pain In Europe (PIE) : près de 75 millions d’Européens seraient concernés. Chez les femmes, sa prévalence est plus importante que chez les hommes (principalement des douleurs d'origine musculosquelettique). En France, la Haute Autorité de Santé, considère que 30 à 35% de la population générale est concernée par ce type de problèmes. La fibromyalgie et le syndrome polyalgique diffus sont les pathologies les plus connues mais on retrouve aussi l’algodystrophie, l’endométriose, la névralgie cervico-brachiale, la névralgie pudendale, les maladies inflammatoires ou fonctionnelles du tube digestif, et certaines neuropathies.
On évoque volontiers le caractère psychosomatique de ces symptômes. Pour Berrube (Berrube, 1991, p. 67) ce sont « des symptômes physiques dont les causes sont multiples, mais où des facteurs émotionnels jouent un rôle important... Les manifestations physiologiques sont celles qui accompagnent normalement certaines émotions, mais elles sont plus intenses et plus prolongées. Des émotions réprimées ont une action physiologique qui, si elle est durable et suffisamment intense, peut amener des perturbations de la fonction, voire une lésion de l’organe. Le malade n'est généralement pas conscient de la relation qui existe entre sa maladie et ses émotions ».
Sur le plan physique les patients souffrant de douleur chronique se plaignent très fréquemment d’une grande fatigue et parfois le moindre effort physique s’avère pour eux particulièrement pénible. Certains évoquent même l’impression qu’à cause de cet état, leur périmètre de vie se rétrécit de jour en jour. Il s’y ajoute des troubles du sommeil avec difficultés d’endormissement car ils n’arrivent plus à trouver une position confortable, Ils se plaignent également de sensations désagréables du fait de l’immobilisation. Dans tous les cas, les patients évoquent une perte de qualité de leur sommeil qui ne serait plus « réparateur » et contribuerait à diminuer le seuil de tolérance à la douleur. Il s’agit là d’un cercle vicieux. Une étude sur la douleur chronique neuropathique a montré que 90% des patients étaient atteints de troubles du sommeil et d’anxiété. Le manque d’activité physique, l’excès d’alcool ou encore la prise de certains traitements médicamenteux qui stimulent le système nerveux sont également d’importants facteurs perturbateurs du sommeil.
Il existe des répercussions importantes sur la vie quotidienne qui peuvent être à l’origine d’un isolement social. Du fait de son handicap et parfois de son état d’invalidité, la personne se trouve considérablement fragilisée. Il en résulte une perte de productivité importante pour elle et pour la collectivité. Elle peut se sentir dépréciée, disqualifiée du jeu sociétal et ou familial. Les patients parlent fréquemment de grandes difficultés relationnelles. Sur le plan familial c’est parfois l’organisation et même la structure de famille qui se trouve perturbées. Le système familial ne fonctionne plus comme avant. De nouvelles sources de conflits peuvent apparaître du fait de de la diminution de l’activité physique de celui ou celle qui ne ce fait ne peut plus accomplir ses tâches quotidiennes qui lui incombaient jusqu’alors pour participer à la vie de famille et notamment ménage, courses, soutien des enfants… La personne concernée a le sentiment de devoir être assistée en permanence et ceci la rend de plus en plus irritable à l’égard d’elle-même et son entourage ou au contraire la pousse à refouler ses émotions et se renferme sur elle-même. Dans d’autres situations c’est l’aidant sur lequel la personne se repose totalement qui devient lui-même en grande souffrance, révélant ainsi les importants dommages collatéraux de la douleur maladie.
Les conséquences délétères socio-professionnelles sont fréquemment exprimées par les patients qui se sentent vite dépréciés, mis à l’égard et qui ont très peur de perdre leur travail ; la douleur chronique est source de chômage de longue durée. Les conséquences financières peuvent être très sévères et impacter considérablement la vie sociale. Ainsi les problèmes d’assertivité et d’exclusion sociale sont particulièrement fréquents. Le patient douloureux ressent souvent un manque de confiance à l’égard des autres. Beaucoup n’osent jamais exprimer ouvertement leur point de vue et encore moins dire « non ». Ceci entraîne de la souffrance car ils se sentent incompris et méprisés. Ils ont honte d’eux-mêmes du fait de « leur lâcheté » et c’est encore un cercle vicieux d’auto-dévalorisation qui se met en place malgré toutes leurs tentatives de solutions pour ne pas déplaire aux autres. Ce manque d’estime de soi se renforce inexorablement avec la pérennisation de la douleur et l’exclusion sociale. Beaucoup vont même jusqu'à ressentir une véritable peur de l’autre, peur d’être jugé et surtout d’être définitivement rejeté de la société.
Pour les philosophes stoïciens de l’antiquité la douleur présente des vertus morales et par exemple elle met en exergue le caractère viril de celui qui la supporte sans se plaindre et s’en remet à la volonté de Dieu. En effet, dans la sagesse antique, résister à la douleur est l'un des points fondamentaux du courage stoïcien. Pour Sénèque cette mise à distance du corps permet d’atteindre la tranquillité de l'âme et le bonheur, en se rapprochant de Dieu. Ces anciennes représentations culturelles associées à la douleur ont disparu. Elles font place progressivement à une vision beaucoup plus technique pour lutter contre ces maux qui tend à déposséder l’individu de tout contrôle sur sa propre vie.
Dans toutes les sociétés humaines la nécessité de soulager la douleur est à l’origine de multiples façons de se soigner et la médecine y trouve effectivement une grande place en toute légitimité. Dans la vision occidentale, la douleur apparaît très souvent comme dépourvue de sens. « La douleur se transforme en cruauté pure en une torture sans fin et sans raison » (Le Breton, 1988, p. 134). Elle devient un symptôme purement médical. La médecine seule doit en assumer toute la responsabilité et garantir sa disparition totale. Le médecin est vu comme un réparateur ou un technicien habile qui est censé savoir corriger tous les troubles du fonctionnement corporel. Beaucoup de patients arrivent au centre antidouleur avec un tel mode de pensée. La compétence médicale est mise à défaut face à la persistance de la douleur. La complexité de la prise en charge de la douleur chronique pour le médecin plaide d’elle-même en faveur d’une approche transdisciplinaire et qu’on pourrait qualifier de médecine globale intégrative.
Douleur chronique et état de transe négative
La douleur serait hypnotique dans la mesure où elle porterait l’attention à se retirer du monde extérieur pour aller vers l’intérieur de son propre corps. (Delboeuf, 1993). La douleur chronique perturbe la conscience et son fonctionnement. Elle entraîne la fixation de l’attention avec diminution des capacités sensorielles et affectives du sujet et elle s’amplifie grâce à l’imagination et la mémoire. Elle contribue ainsi à une sorte d’enfermement hypnotique auto entretenu. A l’inverse des états de transes physiologiques qui surviennent régulièrement à tous moments de la journée, il existe des situations dans lesquelles les perceptions sont véritablement figées : ce sont des transes pathologiques en réaction à des situations particulières. Cette situation est fréquente dans le stress post traumatique mais aussi dans les douleurs du membre fantôme après une amputation. D’une façon plus générale, les états dépressifs, les états douloureux chroniques sont caractérisés par un état de transe pathologique avec de multiples somatisations et des capacités imaginatives qui s'amenuisent au fil du temps. Pour David Lebreton : « La douleur est une émotion qui accroche le vivant à sa vie avec une telle intensité qu’elle s’impose comme une priorité à celui qui la vît. Cette priorité fait d’elle une expérience perceptive d’attention qui ne peut quasiment pas se détacher de celui qui la vit et est ce fait, un des plus puissants inducteurs hypnotiques qui soient. Le sujet au fil du temps éprouve une répulsion constante pour un état qu’il n’accepte pas, ce qui contribue à entretenir cette transe pathologique.
Lorsque nous sommes en bonne santé, nous ne sommes pas conscients des limites de notre corps. En revanche, la maladie produit une dissociation en nous-mêmes et nous conduit à mettre de la distance de ces parties de notre corps qui font souffrir. Notre présence à soi est modifiée, c’est comme ces parties douloureuses devenaient autonomes et s’apparentent progressivement à des corps étrangers totalement séparés du reste du corps. Cet état peut entraîner une grande détresse psychologique et c’est alors toute la qualité de notre présence à soi-même et au monde qui s’altère.
Utilisation et efficacité de l’hypnose dans la douleur chronique
De nombreuses études ont permis d’objectiver et d’apporter des preuves concrètes sur l’efficacité de l'hypnothérapie dans la prise en charge de la douleur. Nous ne nous détaillerons pas l’ensemble de ces études qui sont d’ailleurs très bien synthétisées dans le rapport de l’INSERM de 2015 (Gueguen, 2015).L’hypothèse principale de ces travaux est qu’une focalisation spécifique et intense de l’attention constitue un modulateur important de la douleur. Ainsi plusieurs études ont montré que la douleur pouvait diminuer de 10 à 20% lorsque le patient oriente volontairement son attention vers une autre source de stimulation (Miron, 1989). Treize études prospectives comparant les résultats de l’hypnose dans le traitement de la douleur chronique à des données de référence ont fait l’objet d’une analyse dans un article de synthèse. Différents types de douleurs chroniques y sont abordées : arthrite, cancer, dorsalgies, drépanocytose, douleurs temporo-mandibulaires et fibromyalgie. Les résultats montrent une diminution significative de la douleur sous hypnose. Les auteurs émettent l’hypothèse qu’en faisant des suggestions d’analgésie, on intervient au niveau cortical (niveau des mécanismes supérieurs d’intégration de l’information douloureuse) en diminuant le ressenti désagréable de la douleur (Miron, 1989). Il y a un remaniement des réponses avec modification des informations douloureuses au niveau cortical : la douleur est toujours perçue comme un signal mais son caractère désagréable s’atténue un peu comme si la personne l’observait à distance. (Elkins, 2007). Plusieurs études ont montré l’efficacité de l’hypnose pour soulager ou prévenir les migraines avec diminution du nombre de crises, diminution de l’intensité, mais également diminution de l’anxiété provoquée par la douleur (Evans, 2001).
Une méta analyse récente de type Cochrane s’est intéressée à l’intérêt de l’hypnose dans les douleurs chroniques musculo squelettiques ou neuropathiques, en ne prenant en compte que des essais randomisés à partir de cinq grandes bases de données. Neuf études ont pu être incluses dans cette méta analyse portant sur un total de 530 patients. Les auteurs concluent à une diminution modérée mais significative de l’intensité de la douleur grâce à l’hypnose à condition qu’au moins 8 séances soient pratiquées (Langlois, 2022).
L’hypnose est de plus en plus reconnue par la communauté médicale et constitue une alternative non conventionnelle intéressante pour les patients consultant dans les centres anti-douleur. L’INSERM recommande de l’utiliser pour améliorer le confort du patient, tout en diminuant les coûts de la santé pour la collectivité (diminution des traitements médicamenteux, raccourcissement de la durée du séjour… (Gueguen, 2015)
L’autohypnose, définie comme « l’auto-induction d’une transe hypnotique en vue de la réalisation d’un objectif déterminé » (Virot, 2010) est particulièrement utile dans les douleurs chroniques, elle permet au patient d’induire lui-même la transe. Le patient s’exerce avec le thérapeute en quelques séances à cette pratique. Pour entrer en transe, il pourra apprendre par exemple à se concentrer sur un point fixe sur le mur, ou sur un objet de son choix ou tout simplement en se focalisant uniquement sur sa propre respiration. D’autres techniques complémentaires telles l’ancrage de confort et de sécurité par un geste spécifique, ou les autosuggestions de confort, peuvent être enseignées au patient. Certains ouvrages très simples en proposant directement des mini scripts à lire ou à écouter peuvent être également d’une grande aide (Chamy, 2020). Ces différents apprentissages peuvent être très utiles au patient pour l’aider à moduler sa douleur et son inconfort lorsqu’il en ressent le besoin.
L’utilisation des métaphores peut s’avérer extrêmement intéressante pour accompagner les patients Les suggestions métaphoriques proposées ouvrent l’accès à un autre regard et à de possibles solutions. ». La suggestion et l’autosuggestion, par des images, de sons, amènent une nouvelle représentation d’une situation vécue, un petit pas vers le changement, qui induit des réactions en chaîne (Kerouac, 2000).
Où se former à l’hypnose ?
LACT propose plusieurs parcours de formations web certifiantes en direct avec 50 formateurs internationaux.