Cet article présente une approche systémique innovante pour la prise en charge de la douleur chronique, inspirée de l'école de Palo Alto.
Description générale du modèle appliqué aux soins
Les interventions du praticien en systémique se déroulent classiquement en plusieurs étapes. La première consiste à bien définir le problème en effectuant une sélection puis une synthèse des informations données par le patient et en qualifiant concrètement des faits sur lesquels il serait possible d’agir. Dans la deuxième étape, de clientélisation, la qualité de l’alliance thérapeutique est essentielle pour amener progressivement le patient à adhérer à la définition du problème qu’on lui propose et à s’engager pleinement dans le processus thérapeutique. Ceci crée pour lui un nouvel espace où il peut découvrir des solutions nouvelles. La personne retrouve ses capacités d’agir pour prendre en charge son problème et devient plus autonome. Il s’agira ensuite pour le thérapeute, d’identifier et d’arrêter les tentatives de solutions redondantes du patient qui entretiennent son problème. Paul Watzlawick résume cette formule paradoxale en une phrase percutante « quand le problème c’est la solution » (Watzlawick P., Weakland J., Fisch R., 1975). Il propose d’établir l’inventaire complet des tentatives de solutions et de les qualifier en collaboration avec le patient de succès ou d’échec. Les tentatives de solutions inopérantes sont considérées comme des échecs. L’objectif est de faire comprendre au patient que les solutions qu’il a mis en place pour se protéger entretiennent et parfois aggravent son problème.
Lors de la consultation et afin de continuer à impliquer activement le patient entre les séances, le thérapeute lui prescrit une ou plusieurs « tâche(s) thérapeutiques » pour l’amener à agir à 180° de ses tentatives de solutions inopérantes. L’accomplissement de ces tâches concrètes par le patient développe son autonomie en le responsabilisant et le conduit à vivre des expériences émotionnelles correctrices. Au fil des interventions la personne apprend à modifier ses interactions avec l’environnement. Elle se comporte différemment, créant ainsi un nouvel équilibre dynamique des différents systèmes relationnels dans lequel elle évolue, et favorisant l’émergence de nouvelles solutions pour résoudre ses problèmes.
Une approche adaptée pour la prise en charge de la douleur chronique
Les pathologies psychosomatiques telles que les douleurs chroniques ou la fibromyalgie peuvent être abordées selon l’école de Palo Alto sous un angle différent que celui proposé par la médecine classique. Ainsi leur chronicité est perçue comme si elles étaient le résultat de la mise en place de tentatives de solutions dysfonctionnelles par le patient dans une dynamique circulaire. Tout se passe comme si, dans ce type de pathologies, le patient entretenait d’une certaine façon la persistance de ses symptômes et même aggravait sa pathologie par les comportements qu’il adopte en tentant de se préserver de la douleur. On retrouve fréquemment deux types de tentatives de solution redondantes : la lutte et l'évitement. Ces deux types de comportement peuvent être présents séparément ou simultanément.
Lutter contre la douleur est une réaction adaptative normale. Nous persistons à le faire avec acharnement car nous sommes génétiquement programmés pour éviter la douleur. Ceci est particulièrement vrai pour des stimuli ou évènements extérieurs à nous. Pour ce qui est de notre monde intérieur, lorsque nous tentons d’éviter certaines pensées, sensations et émotions, c’est plutôt le contraire qui se produit. Par exemple, quand nous essayons de ne pas penser à une idée noire, elle revient sans cesse à notre esprit. Ce comportement est renforcé dans nos sociétés occidentales car le bonheur y est perçu comme une absence de perception douloureuse. La souffrance apparaît toujours comme un problème à solutionner le plus rapidement possible. Le système éducatif nous transmet, dès le plus jeune âge, de multiples injonctions comme « ne pleure pas », « sois courageux », « soit un homme ». Les émotions négatives sont perçues comme anormales et on apprend à s’en débarrasser au plus vite. Ainsi l’idée qu’on doit contrôler sa douleur pour retrouver une qualité de vie s’impose avec une logique implacable dans la tête de nombreux patients (Dione F, 2014). Ce contrôle est encore renforcé par le système médical qui est de plus en plus confronté à d’une obligation de résultats sous peine de subir les affres du médico légal s’il existe une suspicion de perte de chance pour le patient. De son côté, Celui-ci met toute son énergie dans la lutte. Il s'exténue à faire comme si sa douleur n’existait pas et qu’il pouvait la vaincre par sa seule volonté. Il fait tout pour ne pas ne pas y penser avec un point d’honneur à ne jamais se plaindre. Certains s’engagent continuellement dans l’action, par exemple en travaillant avec acharnement. Cette lutte permanente mobilise une grande partie des ressources cognitives et comportementales de la personne. De nombreux patients sont totalement épuisés et parfois même en situation de burn-out. On constate par ailleurs souvent un manque de bienveillance à l’égard d’eux-mêmes.Ils peuvent devenir très exigeants en mettant pour eux la barre très haut et en s’imposant une auto discipline très stricte. Ce sont alors des injonctions permanentes telles « ne te laisse pas aller, «tu dois y arriver coûte que coûte », « tu n’as pas le droit de te plaindre… » Il m’est parfois arrivé de constater que cette rigueur peut se traduire par une véritable maltraitance du corps. Il pourra s’agir de pratiquer un sport à outrance jusqu'à l'épuisement. C’est alors le corps qui se rebiffe par des messages nociceptifs de plus en plus intenses et la personne finit par comprendre qu’elle ne peut pas continuer ainsi. C’est souvent ce qui l’amène en dernier recours à demander de l’aide au centre antidouleur après avoir épuisé toutes les ressources médicamenteuses existantes. Ces personnes très stoïques consultent tardivement au centre antidouleur Elles se sentent impuissantes et en échec et éprouvent un véritable ressentiment pour ce qu'elles considèrent comme leur faiblesse et leur manque de volonté. Il n’est pas rare alors que l’anxiété généralisée et la dépression viennent rapidement compléter ce tableau clinique.
Il est important de les aider à se déculpabiliser au plus vite en leur expliquant que jusqu’à maintenant elles ont fait de leur mieux dans le contexte auquel elles sont confrontées. Lutter contre leurs propres émotions est pour eux le meilleur moyen qu’elles ont trouvé jusqu’à maintenant pour s’en sortir. On les invite d’ailleurs à constater par elles-mêmes que malgré tous leurs efforts : ça ne marche pas ! Ce temps d’explication est très important et contribue favorablement à bâtir l’alliance thérapeutique. Il leur permet de pouvoir enfin déposer les armes pour partager leur souffrance en découvrant qu’un autre type de coopération est possible avec un thérapeute.
Dans une approche systémique on pourrait poser au patient les questions suivantes pour le sensibiliser la personne à l’inefficacité de ses tentatives de solutions face à son problème. « Que faites-vous quand vous avez mal ? Essayez-vous par la volonté de contrôler votre douleur ? », « Ce contrôle pour vous est-il efficace ? ». « Comment vous sentez-vous après une journée passée à faire comme si la douleur n'existait pas ? « Que vous coûte votre lutte contre la douleur ? », « Comment pouvez-vous commencer à imaginer concrètement votre nouvelle vie sans lutte ? » Par ce type de questions la personne peut être amenée à comprendre que c’est peut-être sa lutte vaine et inopérante qui est à l’origine de ses problèmes. L’approche de Palo Alto permet de proposer au patient de faire symboliquement la paix avec sa douleur. Il s'agit de pouvoir l’observer avec une certaine indifférence et peut-être même de communiquer avec celle-ci au lieu de la combattre. La proposition est de mettre en place une cohabitation plus sereine avec elle. Une première tâche pourrait être de demander au patient de reconnaître les moments où sa douleur se manifeste et juste d’observer sa présence et ses caractéristiques un peu comme un anthropologue qui observerait une scène à distance, en tant que témoin et avec un certain détachement. Une tâche thérapeutique à 180 degrés pourrait consister à lui prescrire de convoquer volontairement sa douleur à plusieurs moments précis de la journée et pendant une durée déterminée. Ainsi on peut dire au patient concerné : « Tous les matins à 9H et tous les soirs à 21h, pouvez-vous vous rendre dans votre chambre seul et appeler volontairement votre douleur pendant 10 minutes précisément en vous aidant d’une alarme et ce tous les jours d’ici notre prochaine séance ? ». Il pourrait également tenir une sorte de journal de sa douleur, les qualificatifs qu’il lui donne et les émotions qui surviennent quand il la convoque. (Nardone G, Watzlawick R, 2000).
On pourrait aussi proposer à une personne qui visiblement maltraite son corps jusqu’à l’épuisement, la tâche thérapeutique du « comment aggraver » « Pourriez-vous chaque jour consacrer 20 minutes, dans un endroit tranquille et isolé et réfléchir à comment vous pourriez être encore plus exigeant avec votre corps et quelque soit votre niveau de douleur, et tenir une sorte de journal de la performance ?”
« Que pourriez-vous lui demander de plus ?» « Quels efforts supplémentaires êtes-vous capable de demander à votre corps pour aller jusqu’au bout de vos forces » ? (Nardone G, Watzlawick R, 2000).
Certains patients ne font que parler de leurs maux et finissent par lasser une partie de leurs proches par leurs éternelles complaintes. D’abord compatissant, l'entourage familial et social se sent rapidement impuissant et a plutôt tendance à fuir ces éternels plaignants. La personne concernée se sent rejetée et revendique de plus en plus fort son statut de malade, c’est un véritable cercle vicieux qui s’installe et pour finir elle se retrouve finalement encore plus seule. Il pourrait être intéressant de proposer une sorte de conspiration du silence, avec un silence total sur la douleur et les symptômes pour la personne et pour son entourage. (Nardone, G Watzlawick, p. 1993) Simultanément et pour combler l’espace ainsi libéré, on pourrait orienter le patient vers d’autres actions qui le motivent parce qu’elles sont en lien direct avec ses propres valeurs. On retrouve ici l’idée d’engagement vers ses valeurs prônées par LACT comme moteur de l’action qui mène au changement.
La colère et le sentiment d’injustice sont des émotions fréquemment retrouvées. Certaines personnes deviennent très exigeantes et intolérantes. Tout est toujours et sans exception de la faute de l’autre et y compris leurs douleurs. Certains expriment énormément d’agressivité à l’égard des soignants. Ils fulminent contre l’échec des traitements, leur sentiment d’errance médicale et surtout le manque d’écoute et de compassion à leur égard. L’écoute active, le partage des premières conclusions thérapeutiques et les techniques de recadrage peuvent se révéler très intéressantes chez ces éternels plaignants.
Certains patients semblent avoir adopté leur nouvelle identité de « personne douloureuse et malade ». Ils ont parfois même oublié qui ils étaient avant la maladie. Ils semblent tellement bien installés dans ce statut de « douloureux chronique » qu’on peut réellement se demander s’ils sont clients au changement ou s’ils ne préfèrent pas par commodité rester dans ce statut ? Il existe ainsi des situations où l’aidant devient une sorte d’esclave pour le plaignant et se sacrifie littéralement à son service. L’aidant victime collatérale de la douleur n’a même pas conscience de sa propre situation. Le patient qui se rassure par sa présence le sollicite en permanence à ses côtés. Dans une démarche de thérapie systémique on pourrait proposer une approche similaire à celle utilisée dans le traitement des phobies comme technique de recadrage. On pourrait ainsi dire au patient : « votre conjoint est toujours là pour vous et c’est formidable car vous vous sentez aidé et protégé mais à chaque fois qu’il fait cela, pourriez-vous aussi réfléchir au fait qu’il aggrave encore un peu plus votre dépendance et l’impact négatif de votre maladie sur votre propre qualité de vie ? » « Est-ce que cela vous rend vraiment service ou cela fait-il de vous une personne plus dépendante ? » (Nardone, G Watzlawick, p. 1993).
Une autre tentative de solution infructueuse est l’évitement émotionnel. On constate une mise à distance des émotions que la personne n’accepte pas : par exemple fuir sa tristesse et sa peur. La personne tente d’éviter d’être en contact avec ses pensées, émotions, sensations physiques désagréables. Il est possible que cette stratégie fonctionne à court terme mais elle aggrave le vécu d’une pathologie chronique. Il existe une réelle perte de contact avec l’instant présent, un peu comme si la personne devenait une sorte de fantôme. Pourtant et comme dans « la lutte » et même si la personne ne se plaint pas, elle est envahie par ses ruminations, et focalise encore plus sur ses symptômes. Dans une approche systémique, on pourrait demander à la personne : « Comment faites-vous pour ne pas penser à votre douleur ? « Est- ce que ça marche ? » ou encore « comment parvenez-vous à ne plus ressentir de la tristesse ou de la colère ? ». On pourrait, selon le modèle de Palo Alto au contraire, lui proposer comme tâche thérapeutique d’accueillir sa tristesse, et ses émotions négatives tout en les observant avec un certain détachement. Elles pourraient même parler à leurs émotions en les convoquant volontairement plusieurs fois par jour. Il s’agit-là d’une tâche à 180 degrés pour apprendre à être au contact avec toutes ses émotions et apprendre à les intégrer comme des phénomènes normaux inhérents à la condition humaine. En accomplissant cette tâche la personne peut également se rendre compte qu’il n’est pas évident de convoquer sa tristesse sur demande et observer par exemple qu’elle a aussi d’autres émotions et que certaines sont même positives. Elle n’est pas sa tristesse et elle est juste traversée par ses émotions, comme tous les humains.
Où se former ?
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Formation systémique généraliste