L’approche stratégique constructiviste de Nardone et Watzlawick

Brève présentation de Nardone et Watzlawick

Giorgio Nardone est psychologue, il enseigne les psychothérapies brèves à l’institut des Hautes études de l’Université de Sienne en Italie , il dirige par ailleurs le Centre de Thérapie stratégique d’Arezzo ainsi que l’Institut Italien de Thérapie stratégique fondé en 1989 en collaboration avec le Mental Research Institute de Palo Alto en Californie. Paul Watzlawick était depuis 1960 l’un des membres les plus éminents du Mental Research Institute de Palo Alto à la suite de Gregory Bateson et Don D.Jackson. Il fut également professeur au Centre Médical de l’Université de Stanford et au Centre Universitaire Ticinese de Lugano en Suisse.

Un peu d’histoire 

Giorgio Nardone, dans le cadre de son travail de recherche sur l’épistémologie de la psychologie clinique et des différents modèles de psychothérapie, a analysé les critères épistémologiques des différents modèles de psychothérapie. Il s’est immédiatement rendu compte que le seul modèle parmi tous ceux qui pouvaient résister à cet examen approfondi était celui de l’École de Palo Alto, c’est-à-dire les travaux produits par le groupe de l’Institut de Recherche Mentale de Palo Alto, en Californie. En fait, les chercheurs de cet Institut, dirigés par Don. D. Jackson, ont formulé un modèle de thérapie « interactionnelle » basé sur l’étude des effets de la communication sur le comportement et sur la santé mentale des êtres humains. Plus tard, Paul Watzlawick a développé une théorie réelle sur la pragmatique de la communication et du changement (Watzlawick et al., 1967, Watzlawick et al., 1974) ainsi qu’un modèle d’intervention thérapeutique applicable à une variété de troubles mentaux.

Giorgio Nardone, une fois sa formation terminée, a commencé un projet de recherche (1985/86) pour développer un traitement à court terme des troubles phobiques et obsessionnels sous la supervision de Paul Watzlawick et John Weakland. Au cours de ce projet, il a commencé à développer des techniques d’intervention innovantes dans un domaine de la pathologie à peine exploré.

Grâce à ce projet, la collaboration entre Giorgio Nardone et Paul Watzlawick s’est rapprochée et les a amené à la fondation, en 1987, du Centre de thérapie stratégique d’Arezzo en tant qu’institut de recherche, de formation et de psychothérapie, qui a donné le début de l’évolution moderne de la thérapie stratégique brève. Le partenariat entre Paul Watzlawick et Giorgio Nardone s’est exprimé à travers des recherches, des publications, des séminaires et des conférences à travers le monde et s’est poursuivi jusqu’à la mort de Watzlawick en 2007.

En 1988, les résultats de la recherche-action sur les troubles phobiques-obsessionnels ont été publiés. Les résultats vraiment encourageants ont marqué le début de la tradition des études du Centre de thérapie stratégique d’Arezzo (40 des 42 cas avaient complètement surmonté leur trouble agoraphobe avec une durée de traitement de 11 séances suivies de réunions de suivi ayant lieu trois mois, six mois et un an après la fin du traitement). La même méthodologie de recherche-action a été appliquée à l’étude de toutes les variantes de la panique et des troubles obsessionnels compulsifs. Au cours des années suivantes, ces études ont conduit à l’élaboration de protocoles de traitement stratégiques appropriés pour ces troubles invalidants qui se sont distingués par leur efficacité et leur efficience par rapport à d’autres formes de thérapie.

Le modèle stratégique de résolution de problèmes

La « Brief Strategic Therapy », le modèle de Giorgio Nardone a obtenu une reconnaissance internationale. De cette façon, le modèle a déclaré son originalité également par rapport aux modèles traditionnels de thérapie stratégique brève. Le modèle démontre son efficacité supérieure (88% des cas ont été conduits à l’élimination du trouble) et son efficacité (la durée moyenne d’un traitement était de 7 séances)

En 2000, une étude sur les résultats des traitements effectués au cours de la décennie précédente au Centre de thérapie stratégique d’Arezzo a été menée. Les résultats montrent la nette supériorité en termes d’efficacité et d’efficience de la thérapie stratégique brève par rapport à d’autres modèles d’intervention thérapeutique.

Au cours des dernières années, la recherche comparative sur l’efficience et l’efficacité des psychothérapies a montré même clairement que le modèle de thérapie stratégique brève se démarque de toutes les autres formes d’intervention clinique, même en comparaison directe avec la thérapie cognitivo-comportementale (TCC, considérée comme l’étalon-or international).

La logique stratégique

Pendant plus de deux millénaires, la pensée occidentale a été dominée par le rationalisme. En fait, les logiques traditionnelles et rationnelles sont toujours considérées comme le point de référence essentiel de la pensée et de la planification de l’action et les logiques non linéaires et non ordinaires sont à nouveau exclues de ce contexte. Curieusement, si nous analysons la dynamique constante que chacun de nous vit avec lui-même, les autres et le monde, nous percevons que la raison et la rationalité ne sont pas prédominantes, mais que les contradictions, les paradoxes et les croyances dominent entièrement, c’est-à-dire tout ce qui peut être défini comme une ambivalence logique. La logique stratégique est un modèle de planification d’action basé sur les objectifs à atteindre et les problèmes à résoudre, plutôt que sur le respect de la théorie de référence. Ce type de logique a toujours considéré les phénomènes d’ambivalence logique et a utilisé les paradoxes, les contradictions, les prophéties et l’auto-tromperie comme outils opérationnels réels. Ce n’est que vers le milieu du siècle dernier que certains chercheurs ont commencé à attirer l’attention sur cette forme de logique qui, bien qu’elle soit si influente sur la vie des êtres humains, a été exclue des études universitaires. L’école de Palo Alto a montré l’importance de la dynamique non linéaire : la « causalité circulaire » a remplacé la « causalité linéaire » et les paradoxes communicatifs et les prophéties auto-réalisatrices ont été identifiés comme les éléments constitutifs de nombreuses relations importantes entre les êtres humains et leur réalité.

Giorgio Nardone, en tant qu’élève direct de Paul Watzlawick, a développé les modèles de la logique non ordinaire à travers son travail et ses formulations. En fait, il a structuré un modèle théorique applicatif de la logique des ambivalences. Tout cela est inclus dans un modèle de logique stratégique qui permet aux gens, compte tenu d’un problème, de construire rapidement une solution efficace grâce à l’utilisation de stratagèmes logiques non ordinaires. Ceux-ci étaient déjà utilisés dans la Grèce antique et la Chine, ils ont été utilisés continuellement, dans l’histoire de l’humanité, par des artistes, des scientifiques, des dirigeants et des gestionnaires. Ce qui était à l’origine une approche artistique, est devenu une véritable technologie de résolution de problèmes, car les modèles de solution stratégique développés pour différentes classes de problèmes ont évolué et sont devenus non seulement de plus en plus efficaces et efficients en raison de leur raffinement progressif, mais aussi reproductibles, communicables et prédictifs dans leurs effets.

La résolution de problèmes

Alors que la science a la responsabilité d’expliquer les phénomènes qui font l’objet d’étude, la résolution de problèmes est la « technologie pour trouver des solutions » (Nardone, 1996), c’est-à-dire les méthodes qui permettent d’atteindre les objectifs spécifiques d’un projet. La résolution stratégique des problèmes ajoute certaines techniques qui envisagent l’utilisation de la logique non linéaire au processus scientifique habituel afin de faciliter la découverte de nouvelles perspectives qui permettent aux gens de trouver des solutions à ce qui semble insoluble.

Le modèle s’organise autour des séquences suivantes :

• Définition du problème
• Trouver un accord sur l’objectif
• Analyse et évaluation des solutions tentées
• La technique « comment aggraver »
• La technique du « scénario au-delà du problème »
• La technique de l’alpiniste
• Réglage progressif
• Solution

Trois techniques originales ont été ajoutées aux procédures habituelles de la recherche cognitive pure : la technique du « scénario sur le problème », la technique de l’alpiniste et la technique « comment aggraver ».

Le scénario au-delà du problème

La mise en œuvre de cette technique consiste à demander à une personne d’imaginer comment serait le scénario parfait une fois que tous les problèmes et difficultés actuels auraient été complètement surmontés. En d’autres termes, on demande à une personne comment le scénario serait comparé à la situation actuelle une fois que le problème aurait été entièrement résolu ou que l’objectif aurait été pleinement atteint. Il s’agit de convaincre l’esprit d’imaginer quelles seraient les caractéristiques de la situation idéale une fois le changement stratégique réalisé. C’est une façon d’observer les caractéristiques de la « réalité idéale » à atteindre, ce qui permet souvent de voir des choses que nous n’étions pas capables de comprendre. Cette technique est utilisée pour libérer l’imagination pure, pour sélectionner les aspects qui peuvent être concrètement réalisables et ensuite pour commencer à agir dans cette direction.

La technique de l’alpiniste

Cette stratégie mentale représente clairement l’application d’une logique inverse par rapport à la logique ordinaire, puisqu’elle implique la mise en œuvre d’une séquence d’actes qui sont apparemment contraires au bon sens. C’est-à-dire qu’une fois l’objectif à atteindre clarifié, grâce à l’application de la technique précédente, une personne doit imaginer à l’envers la séquence des étapes jusqu’au point de départ, plutôt que de partir du point initial et de construire la séquence des étapes jusqu’au point d’arrivée, car cela semblerait plus « raisonnable » selon une rationalité linéaire. Son nom vient de ce que les grimpeurs experts ont fait pendant des milliers d’années. Lors de la planification de l’itinéraire le plus approprié pour atteindre un sommet, les alpinistes partent du sommet et construisent en arrière, étape par étape, la trajectoire de leur ascension. Cette technique permet à une personne de briser l’objectif en une série de micro-objectifs jusqu’à l’identification du plus petit pas à faire pour commencer à appliquer la stratégie du changement. Cette procédure contre-intuitive permet de contourner les préjugés et les schémas fixes, qui empêchent de trouver des solutions alternatives à celles qui ont amenés à l’échec.

La technique « comment aggraver ? »

Cette technique originale est un élément essentiel du modèle stratégique de résolution de problèmes formalisé par Giorgio Nardone et représente une sorte de « carte maîtresse » contre des situations apparemment immuables. Cela consiste à se demander quelles actions nous devrions effectuer ou éviter pour aggraver volontairement la situation actuelle, que nous voudrions au contraire améliorer. De même, il s’agit de se demander quelles choses nous devrions volontairement penser et / ou éviter de penser pour compliquer délibérément ces problèmes, plutôt que de les conduire à leur solution. Après cela, il est possible d’établir une liste minutieuse en écrivant d’abord les choses les plus importantes, puis les moins importantes.

Cela peut sembler une question absurde, étant donné que les sujets aimeraient améliorer leur condition en résolvant leurs propres problèmes. Cependant, il s’agit d’une forme d'auto-tromperie stratégique basée sur la logique du paradoxe. Lao Tseu disait déjà « si vous voulez obtenir quelque chose qui soit parfaitement droit, commencez par tenter de l’incurver encore plus » (Nardone, 2015, p.154).

En effet, si l'individu essaie vraiment de penser à toutes les façons d’aggraver sa situation, l’effet sera de deux types. Il va identifier une gamme d’actions contre-productives, qu’il commencera immédiatement à détester. Et cela, bien sûr, l’amènera à les éviter. Le deuxième effet, encore plus surprenant, est que l’esprit, poussé dans cette direction, va rebondir, comme un ressort, vers son contraire. C’est-à-dire qu’il commencera à voir la situation d’autres points de vue et souvent sera en mesure de concevoir des solutions qu’il n’était même pas capable d’envisager auparavant.

Bibliographie

• Nardone, G. (2015). Psychosolutions. Comment résoudre rapidement les problèmes humains complexes. Bruxelles, Enrick B Editions.
• Nardone, G. (2019). Vaincre les attaques de panique grâce à la thérapie brève stratégique, Paris, Enrick B Editions.
• Vitry, G. sous la direction de (2019). Stratégies de changement. 16 prescriptions thérapeutiques. Toulouse, éditions Erès.
• Boulenger, J.P., Lépine, J.P. (2014), Les troubles anxieux, Paris, éditions Lavoisier.
• Leclère, M. (2011). Tocs et phobies. Comprendre pour mieux en guérir. Paris, Larousse.
• Nardone, G. (1996) Peur, panique, phobies. Paris, L’esprit du Temps.
• Nardone, G., Portelli, C. (2016). Obsessions, compulsions, manies. Bruxelles, Satas.
• Belon, J.P. (2019), L’anxiété et les troubles anxieux, Actualités pharmaceutiques, 590, 18-22.
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• Haute Autorité de Santé, ( 2007), La prise en charge de votre trouble anxieux ? Vivre avec un trouble anxieux, Guide affection de longue durée.
• Malphettes, E. (2021), La peur de la peur. Retrouver des sensations qui nous guident, HS 15, 142-154.
• Millet-Ilharreguy, B. (2016), Quoi de neuf sur les TOCS, Petite bibliothèque, 32-37.
• Palazzolo, J. (2019), De l’anxiété normale à l’anxiété pathologique, Le journal des psychologues, 369, 72-77.

Où se former à l’approche systémique et stratégique ?

• LACT propose plusieurs parcours de formations web certifiantes en direct avec 50 formateurs internationaux.
• Formation systémique généraliste
• DU en Clinique de la Relation avec l'Université Paris 8
• Mastère Clinique avec spécialisation en psychopathologie avec le CTS du Pr Nardone
• Formation Coach Systémique
• Formation Systémique en management de la relation avec l'Université de Grenoble