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      Dans un contexte où le harcèlement moral au travail est de plus en plus scruté, de plus en plus dénoncé ou invoqué, cet article propose une lecture systémique et stratégique de la dynamique victime-agresseur. Comprendre les interactions en jeu pour ouvrir de nouvelles voies pour la prévention, l'accompagnement et le changement face au harcèlement.

      Harcèlement moral, de quoi parle-t-on

      Harcèlement moral, de quoi parle-t-on ? 

      Dix ans qu’aucune convention internationale n’avait été adoptée au sein de l’organisation internationale du travail, et lorsque ses membres se mettent d’accord en juin 2019, ils adoptent « le premier traité international à reconnaître le droit de chacun à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement », comme l’indique le site internet de l’OIT. L’ampleur du phénomène, la gravité de ses conséquences exigeaient une réponse internationale qui soit à la hauteur du phénomène, comme le souligne le rapport de l’Assemblée nationale[1] produit à l’occasion de la ratification de ce texte. Quel est ce phénomène ? De quoi parle-t-on ? Le terme harcèlement regroupe deux types de comportements, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. S’agissant du harcèlement moral dont nous parlerons ici, la notion a émergé en  France, dans les années 90, notamment sous la houlette du psychiatre, victimologue, le Docteur Hirigoyenhttps://www.mariefrance-hirigoyen.com/, puis a été reconnue au début des années 2000 dans le code du travail. Désormais, selon l’article L.1152-1 du code du travail, constitue une situation de harcèlement moral le fait pour le salarié de subir des « agissements répétés » « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel », définition reprise à l’identique dans le code général de la fonction publique. Ce comportement est désormais un délit[2].

      Une enquête menée par IDEWE[3], le plus grand service externe pour la prévention et la protection au travail en Belgique, auprès de 39 792 travailleurs belges montre qu’en 2022, 6,4 % d’entre eux ont été victimes de harcèlement moral au cours des six derniers mois.

      Harcèlement moral et profils psychologiques : Qui sont les harceleurs ? Qui sont les harcelés ?

      Les univers psychosocial, syndical, juridique, sociologique se sont attachés à  dépeindre les contours de ce qui a été qualifié comme un « fléau » (Hirigoyen 2014). Des comportements, dans la droite ligne de l’inventaire de la terreur psychologique de Leymann (1990) ont été identifiés, répertoriés.  Les psychologues ont repéré des profils types de harceleurs et de harcelés, définissant une clinique de l’ « avant-harcèlement » et les symptômes de l’atteinte à la santé de la victime en une clinique de l’ « après harcèlement » (Palazzi, 2010). Trois phases sont distinguées : un sentiment d’épuisement chronique évoluant vers une dépression ; éventuellement dans un deuxième temps, une névrose traumatique avec angoisse, et un sentiment de culpabilité ; enfin, des atteintes profondes à la personnalité, dépression grave, paranoïa (Palazzi, 2019).

      Harcèlement moral, à qui la faute ?

      Les sociologues ont établi combien les modifications du monde du travail (perte de sens, productivité accrue, atomisation des agents, perte du collectif syndical) constituent des facteurs structurels et dégagé la notion de harcèlement institutionnel. On parle même de culture de harcèlement dans le monde de l’entreprise. Les philosophes, notamment René Girard (1982), en ont montré la dimension symbolique, cathartique, en dégageant la notion de bouc émissaire, victime expiatoire, qui lorsqu’elle réunit les autres contre elle, produit un apaisement du collectif.

      L’ensemble de la politique de prévention, de formation, d’audit, de conseil et d’accompagnement des entreprises et des structures publiques, lutte désormais contre le harcèlement moral en informant, en protégeant les victimes, en mettant en place des procédures de signalement dans toutes les entreprises et les structures publiques. Des procédures d’enquête sont mises en place, à l’issue desquelles un rapport est rédigé identifiant un « auteur », qualifiant ses actes. Un arsenal répressif est mis en place, fait de sanctions disciplinaires et sanctions pénales. 

      Pris dans cette logique, que les systémiciens qualifieraient de causalité linéaire, le harcèlement moral au travail est perçu, tant du point de vue scientifique que juridique comme une série de comportements imputables à un auteur, portant atteinte à une victime, vue comme extérieure au processus, dont elle en subit les répercussions sur son état de santé physique et psychique. 

      S’il est indispensable de sanctionner les harceleurs, les peines prononcées viennent dans le meilleur des cas clore un processus lent, insidieux, fait de micro-agressions, à peine objectivables, processus qu’il faut traverser tant les procédures sont longues, processus dont il faut se relever tant le harcèlement atteint l’estime de soi et la confiance dans ses capacités professionnelles. 

      Se relever pour la victime, c’est d’abord se relever de sa faute. Car c’est le paradoxe du harcèlement moral. A qui la faute ? Les psychologues, les psychiatres reconnaissent, en effet, en filigrane, comme dans toute la clinique de la dépression, la question de la faute, de la culpabilité ressentie par la victime (Hirigoyen 2001, Palazzi 2010, Genest 2005), culpabilité souvent d’ailleurs reconnue par les tiers (Jeoffrion 2019). Ainsi, Stéphane Palazzi, psychiatre dira : «  La tonalité des entretiens est souvent la même, c’est un discours d’impuissance et d’incrédulité, mais aussi de honte et de culpabilité. Pour chacun des patients, on retrouve en filigrane, comme dans toute la clinique de la dépression, la question de la faute, mais ici le discours du management centré sur la réussite de la personne vient faire résonance à la clinique et accentue le sentiment d’être responsable de son échec » (Palazzi 2019 p.31). Comment dès lors penser accompagner la victime sans intégrer ce sentiment de faute dans la compréhension et le traitement du harcèlement ? Parce que la victime n’est pas responsable de ce qui lui arrive, il est admis que ce serait une violence inaudible pour elle d’envisager qu’elle ait pris part à ce processus de harcèlement. Mais comment dès lors dépasser sa culpabilité ? 

      Par ailleurs, la victime se perçoit comme impuissante et désarmée faute de comprendre ce à quoi elle a pris part. Elle sera, en effet, généralement après un temps d’arrêt de travail, au mieux déplacée, ou bien elle quittera son environnement de travail. Dans tous les cas, elle restera dans une situation de vigilance et de peur que le scénario ne se reproduise puisqu’elle n’aurait sur lui aucune prise. Comment accompagner une victime de harcèlement sans prendre en compte cette peur ? Comment dépasser cette peur sans donner du sens à ce qu’elle a vécu ? Comprendre que le harcèlement est un scénario, un « jeu » interactionnel où les deux protagonistes sont acteurs, c’est redonner du sens à un processus. Inclure la victime dans ce processus, c’est non pas minorer sa souffrance mais lui rendre du pouvoir sur celle-ci et la rendre actrice d’un possible changement

      La sanction de l’auteur est nécessaire. Elle ne résout rien, ni pour la victime, ni pour le « coupable ». 

      La sanction n’est pas, pour lui, source de changement. Elle s’accompagne souvent d’un déni, d’une victimisation, ou d’une modification en surface du comportement, suite à un coaching vécu comme « punitif », faute pour l’auteur mis en cause de comprendre le jeu dans lequel il a été pris et a exercé un abus de pouvoir. Lui aussi a quelque chose à apprendre de ce processus pour espérer changer.

      L’approche systémique et stratégique sort ainsi d’une judiciarisation paralysante au risque de détonner (de Scoraille, Brosseau, Vitry, 2017, p. 211) et de choquer, en apportant des outils de compréhension du système dans lequel les acteurs sont pris et des moyens de ne pas entrer dans un piège relationnel ou d’en sortir grandi. Il s’agit de comprendre qu’à un comportement inapproprié répond un autre qui, par feedback, rétroaction, va agir sur le comportement initial. Le harcèlement est une « danse interactionnelle » (De Scorraille, Brosseau, Vitry, 2017) entre deux protagonistes qui alimentent le mouvement de cette danse. 

      Tout l’enjeu de l’accompagnement des victimes est de partir de la place de la victime, et de tenter à la fois par les outils de caractérisation des faits, par le questionnement stratégique à l’occasion du recueil de sa parole, de passer de la rédaction d’un rapport de police à l’écriture d’un scénario. Une fois le scénario identifié, l’accompagnement stratégique se fera ensuite en plusieurs temps : renoncer, traverser, changer  pour déjouer le harcèlement.

      approche systémique et stratégique harcèlement moral 

      L’approche systémique et stratégique harcèlement moral 

      L’approche systémique et stratégique, envisage le harcèlement moral non pas dans une causalité linéaire mais comme une relation que les tentatives de solution redondantes des acteurs pris dans un jeu interactionnel rigide ont transformée en problème source de souffrance. 

      Le harcèlement moral est un conflit qui ne peut pas s’ouvrir 

      « Le processus de harcèlement est un peu comme une danse interactionnelle entre deux partenaires qui sont respectivement bloqués en position haute et en position basse, chacun cherchant à défendre sa vision de la situation » (de Scorraille et al. 2017, p.212). 

      Dans une relation de type symétrique, où les partenaires sont à égalité, les escalades qui la rigidifient interviennent en cas de rivalité, de surenchère. Les tentatives de contrôle sont réciproques (Wittezaele, Nardone, 2016 p. 141) : au contrôle de l’un répond le contrôle de l’autre. Elles peuvent déboucher sur des disputes, des colères.

      Dans une relation complémentaire rigidifiée, le contrôle de l’un correspond à un évitement de l’autre. « Peut se mettre en place une relation de type « bourreau/victime avec une violence unilatérale, de la colère des plaintes et des revendications partagées, de la culpabilité alimentée par les réactions de la « victime » (ibid). 

      Comme l’indique Watzlawick  (Watzlawick et al. 1972 p.106), « un problème typique surgit dans une relation complémentaire quand X veut que Y confirme une définition de son moi, à lui X, qui est en contradiction avec la manière dont Y voit X. Y se trouve placé dans un dilemme très spécial : il lui faut changer la définition qu’il donne de lui-même pour une définition qui complète et donc corrobore celle de X ». 

      Il nous semble que, s’il n’existe pas de profil type de la victime, bien souvent, la personne qui se sent harcelée est vue, par le dit auteur, comme atypique pour différentes raisons (qui ont souvent trait à ses compétences, à sa conscience professionnelle…). La victime le plus souvent détonne. Elle peut avoir une forme de scrupule professionnel qui la conduit à se désolidariser des pratiques du groupe, à refuser certaines pratiques admises par le groupe ou la hiérarchie. Elle peut aussi avoir une compétence professionnelle particulière qui suscite une forme de jalousie ou d’envie. Il y a donc une altérité (Hirigoyen 2014). Dans le cas d’un rapport hiérarchique descendant, il nous semble que c’est cette altérité là qu’il va s’agir de soumettre, de contrôler, par la réaffirmation d’une relation complémentaire rigide comme pour la faire disparaître sous autre chose de plus connu ou familier. Au fond, la personne dite harcelante (X) voudrait que l’autre (Y) lui ressemble ou voudrait ressembler à l’autre. Elle va chercher à contrôler sa différence, à lui imposer un mimétisme. Il s’agit là d’un enjeu d’identité qui se définit dans l’interaction. 

      Or, Y se refuse à le faire car ce serait perdre sa propre altérité, ou identité, mais l’assumer devant X ferait passer la relation de complémentaire à symétrique ce qui, facialement, par convenance, par respect des règles hiérarchiques, par peur du conflit, n’est pas « affichable ». 

      C’est en ce sens que le Dr Hirigoyen définit le harcèlement comme un conflit qui ne peut pas s’ouvrir. 

      Dans le cadre d’un rapport symétrique, ou l’un n’aurait pas de position haute (par exemple, le supérieur hiérarchique ou le collègue chevronné, ou le collaborateur irremplaçable) ni l’autre de position basse (le « subordonné », le nouvel arrivé, ou le chef inexpérimenté…), une escalade se mettrait en place et permettrait à chacun de reconnaitre l’autre comme légitime, de reconnaître son identité, de nommer les reproches et, même douloureusement, d’introduire un changement dans la relation : « l’enjeu d’un conflit ne se réduit jamais à ce qu’on en dit. Il comporte sa part d’ombre en quête d’identité » (Hirigoyen, 2001, p.30).

      Dans le harcèlement moral, les deux tentatives de solution, contrôle et évitement, s’entremêlent 

      La victime va en effet dans un premier temps se soumettre dans une logique d’évitement. Or « dans l’évitement de la confrontation relationnelle, on assiste généralement à une détérioration profonde de la relation parce que la régulation n’a pas été faite  (…). Cela entraîne souvent une rigidité complémentaire qui peut conduire à des conduites abusives » (Wittezaele, Nardone, 2016).

      Cet évitement comme première réponse au harcèlement est largement caractérisé dans la littérature clinique. Ainsi, « à la lumière des témoignages entendus, il est possible d'observer une gradation de ces manifestations chez les gens qui vivent le harcèlement. Dans un premier temps, on observe fréquemment des personnes qui se refusent à admettre ce qu'elles sont en train de vivre, croyant que cela est impossible, qu'elles fabulent. Les victimes peuvent également sous-évaluer la violence qu'elles éprouvent. Elles tentent alors de passer outre à leurs sentiments en écoutant tout ce qui contribue à les convaincre que les conduites de violence qu'elles subissent font partie du travail, qu'il s'agit d'une manière normale de se conduire dans leur profession ou dans leur milieu. On assiste alors fréquemment à une intériorisation de la faute : La victime se convainc que c'est elle qui a « un problème », qui a mal agi, qui n'est pas à sa place, qui est trop sensible, qui ne donne pas le rendement adéquat, qui n'a pas les compétences requises, etc. » (Genest et al. 2005)

      Une logique d’évitement alimente en rétroaction une tentative de contrôle accru par le harceleur.  

      Un contrôle accru par peur :

      La victime présumée insécurise le présumé harceleur, parce qu’elle dispose d’une expertise dont on a besoin par exemple, ce qui crée une dépendance ou parce qu’elle serait le garant des règles. Elle insécurise parce qu’elle serait le révélateur de son propre manque d’expertise ou de sa propension à s’affranchir des règles. Le harceleur va alors chercher à reprendre le contrôle. Cet hypercontrôle, tatillon, est vécu par la victime comme une remise en cause de sa légitimité, de son autonomie et l’insécurise à son tour. Lorsqu’on a une crainte d’être dévoilé comme incompétent (syndrome de l’imposteur tel que défini par exemple par Cannone, 2005) ou une faible estime de soi, ce contrôle peut s’accompagner du besoin excessif d’asseoir sa place dominante. On peut alors vouloir que la personne qui nous renvoie en miroir à notre propre sentiment d’imposture soit isolée, remise en cause, délégitimée, rabaissée. Le harcèlement peut se mettre en place.

      Un contrôle accru par tendance obsessionnelle :

      Ce même jeu relationnel se met en place lorsque l’auteur présumé de harcèlement a un comportement perfectionniste, avec une réticence forte à déléguer par souci scrupuleux des détails. Sa tentative de solution redondante va être de contrôler excessivement (Chaperon et al. 2014).

      Un contrôle accru par incapacité à faire confiance. 

      Lorsqu’on est excessivement envahi de doutes concernant la loyauté ou la fidélité de l’autre, qu’on craint en permanence le mauvais coup, la trahison, qu’on voit des significations, des allusions cachées dans des propos anodins, on peut croire que l’hypercontrôle est la seule solution possible, un hypercontrôle tatillon, suspicieux. La victime présumée peut d’abord répondre par un surcroît de justifications qui ne vont jamais suffire à rassurer son interlocuteur mais au contraire encourager sa méfiance. Si, au contraire, elle répond par un évitement, par des réponses vagues, on y voit le signe d’une défiance qui renforce l’hypercontrôle. De plus, et concomitamment, cette logique d’évitement s’accompagne chez cette même victime présumée d’une tentative de contrôle accru mais dans un type de langage différent.  

      En effet, au contrôle du harceleur va généralement répondre en rétroaction l’évitement de la victime comme tentative de solution redondante mais un évitement doublé d’un contrôle. La victime présumée de ce contrôle va en effet se soumettre au contrôle, par évitement et ce d’autant plus  qu’elle a un besoin fort de reconnaissance, peut être fragile d’un point de vue narcissique et qu’elle puise son estime d’elle-même dans la relation à l’autre. Les personnes qui se sont construites « au mérite », pour qui la reconnaissance professionnelle est fondamentale dans leur équilibre et leur estime d'elle-même, vont chercher à continuer à donner satisfaction à l’autre, à tout prix par un évitement qui prend la forme d’une soumission forcée. Cet évitement peut s’exercer dans un langage digital d’acceptation, d’accord verbal par exemple ou d’absence de verbalisation de leur désaccord. 

      Mais cet évitement s’accompagne d’une logique de contrôle qui le plus souvent prend la forme d’un langage analogique contradictoire au langage verbal affiché

      Or, comme l’a montré Bateson, le langage analogique est celui de la relation (Bateson, 1955). Ainsi, « toute communication a deux aspects : contenu et relation (…) Selon toute probabilité, le contenu sera transmis sur le mode digital, alors que la relation sera essentiellement de nature analogique. (Watzlawick et al, 1972, p. 61). La victime va, par exemple, montrer un langage non verbal réprobateur, ou si son altérité, ses compétences par exemple, sa vision du monde, se trouvent contestées par l’auteur présumé de harcèlement, il va chercher à renforcer cette altérité, déployant ses compétences, croyant ainsi convaincre l’autre de l’importance du respect de cette altérité c’est à dire de ce qui fait son identité : « d’une certaine manière, il (la victime) dit « oui » à la règle proposée mais dans les interactions il agit comme s’il remettait en question son « oui ». (…) La défense de l’un alimente l’insistance de l’autre qui réactive d’autant la défense du premier en retour » (de Scorraille et al. 2017, p. 212). 

      Bien légitimement, la victime présumée va chercher à restaurer une relation de confiance. Elle va avoir tendance à chercher à convaincre l’autre de ses compétences professionnelles ; elle va s’engager encore plus avant dans ses tâches ; or à cet engagement, vu comme une absence de soumission et/ou une délégitimation, va alimenter en retour un surcroît de contrôle de la part de l’auteur de harcèlement. La victime peut aussi chercher à reprendre le contrôle sur son activité, à reprendre sa place, à la défendre si elle perçoit une mise en cause de ses compétences à travers ce contrôle. Dans le cas d’un rapport hiérarchique, elle va à la fois se soumettre aux directives données qui lui semblent pourtant injustes, infondées, excessives tout en y résistant par un langage non verbal ou par des remarques.

      La danse se joue autour de l’évitement et du contrôle, pour l’un comme pour l’autre. Si l’un des comportements type identifiés de harceleur est celui d’isoler la dite victime, c’est qu’il s’agit de l’éviter en contrôlant son espace.

      Chacun va tenter de donner un sens, dans sa vision du monde, à son impuissance, chacun devenant la victime de l’autre : la victime pour le dit harceleur est dite ingérable, incapable, le harceleur pour le dit harcelé est délinquant (coupable) ou malade (pervers narcissique) (de Scorraille et al. 2017, p. 210). Il nous semble que dès lors que la relation est « rigidifiée », la dynamique s’entretient autour d’une logique de confirmation de croyance. Des « couples » se mettent en place : selon Giulia Rinaldi (de Scorraille, 2017) : « analphabète émotionnel/affamé émotionnel » ; « dévalorisant/besoin de reconnaissance » ; « exigeant/sacrificiel ».

      Le profil de harceleur dit pervers narcissique identifié dans la littérature clinique dans une causalité linéaire nous semble pouvoir ici être abordé dans une causalité circulaire au travers de cette logique de croyance destructrice, réconciliant ainsi les différentes appréhensions de la notion. 

      Le pervers narcissique a besoin de l’autre pour être confirmé dans l’image « grandiose » (Hirigoyen, 2019) qu’il a de lui-même. Il pourra d’abord chercher, dans un jeu de séduction de connivence,  à utiliser la compétence de l’autre à son profit (Chaperon et al., 2014), puis dès lors qu’il se sentira menacé par l’autre, d’autant plus enclin à l’aider qu’il se sentira valorisé, le pervers narcissique cherchera à le discréditer, par crainte que son imposture ne soit révélée ; la logique de croyance visant à se restaurer, au détriment de l’autre (le harceleur : « j’ai besoin de croire que tu es nul pour me sentir excellent ») se met en place. Elle alimente en retour les tentatives de la victime de convaincre l’autre de sa valeur (la victime : « je vais lui montrer qu’il peut toujours compter sur moi »). La logique de croyance in fine se traduit par une croyance partagée entre harceleur pervers narcissique et harcelé que la personne harcelée est sans valeur. En cela, il nous semble que la logique de croyance est de toutes les tentatives de solutions redondantes la plus destructrice

      [1] Rapport N°4366 de l’Assemblée nationale enregistré le 13 juillet 2021.

      [2] Selon l’article 222-32-2 du code pénal, « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.[3] Les études statistiques en France mêlent la notion de harcèlement moral à toute forme de comportement hostile, de violence y compris de harcèlement sexuel, brouillent l’objectivation d’où notre choix d’une statistique belge.

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