Audrey Becuwe est Maître de Conférences HDR en sciences de gestion au sein de l'IAE Limoges, chercheur en gestion des ressources humaines et comportement organisationnel.
Retranscription
Effectivement, je vais vous parler d'un travail de recherche que nous menons, actuellement, avec Grégoire Vitry sur le métier de systémicien et sur sa reconnaissance. J'en profite, d'ailleurs, pour adresser mes remerciements à Grégoire pour nos échanges stimulants et lui redire le plaisir que j'ai à travailler avec lui.
Je vais me présenter très rapidement, en quelques mots. Je suis Audrey Becuwe. Je suis actuellement maître de conférences en gestion des ressources humaines à l'université de Limoges et chercheur au CREOP. Donc, je vais vous présenter un travail qui n'est pas terminé et que nous menons ensemble avec Grégoire Vitry, que tout le monde doit connaître et qui, pour rappel, est titulaire d'un doctorat de l'université de Paris, directeur de LACT et président du syndicat Sypres.
Effectivement, on a vu combien la santé mentale s'était détériorée avec la crise sanitaire. Or, comme vous savez, une prise en charge globale biopsychosociale permet de prévenir et de résoudre les problématiques psychologiques et relationnelles dans les situations complexes. C'est pourquoi, former des professionnels à la systémie et participer à la reconnaissance d'un métier, à savoir le métier de systémicien paraît être un élément de réponse face à l'enjeu que constitue la santé mentale. Mais la question qui se pose est : quelles actions mener pour faire reconnaître et donc pour institutionnaliser un nouveau métier, en l'occurrence le métier de systémicien ? La recherche scientifique est à même de nous éclairer sur le processus d'institutionnalisation d'un métier, en particulier sur les enjeux, le travail institutionnel à réaliser et les difficultés à surmonter pour que ce métier, justement, soit reconnu.
C'est pourquoi, avec Grégoire, nous avons décidé d'initier une recherche sur cette thématique que nous positionnons en sciences de gestion. Alors, c'est vrai qu'on dit souvent "sciences de gestion, sciences pour l'action" et cela renvoie à l'idée que les sciences de gestion ont, non seulement, pour projet la production de connaissances, mais aussi l'action qui peut prendre la forme de recommandation aux décideurs économiques et politiques, mais aussi, bien sûr, la participation active aux changements en cours initiés par des acteurs. Donc, nous nous appuyons, dans cette recherche, sur une grille d'intelligibilité ancrée dans la sociologie des professions et dans la sociologie néo-institutionnelle, et nous avons mis en place une démarche méthodologique en trois étapes.
Donc, nous avons déjà démarré et nous menons en chœur, avec l'aide précieuse de Claude de Scorraille et d'Olivier Brosseau, des entretiens individuels auprès de prescripteurs tels que les directeurs des ressources humaines ou des médecins du travail, mais aussi auprès des experts, auprès des acteurs qui sont experts du sujet. Donc, bien évidemment, il s'agit des présidents de clubs du syndicat Sypres, des directeurs d'école qui forment la systémie et, de manière générale, des professionnels qui connaissent bien ce champ, ainsi que des enseignants-chercheurs spécialisés également sur la systémie.
Nous complétons cette première étude par l'animation de trois focus groups. Nous en avons déjà réalisé deux. Un sur le métier de systémicien de l'éducation, l'autre sur celui de systémicien du travail. Et nous avons un troisième focus group qui se tiendra la semaine prochaine sur le métier de systémicien clinique. La troisième étape de cette méthodologie inclut une étude quantitative que nous construirons sur la base de ce qui émerge dans cette première phase qualitative. Alors, naturellement, aujourd'hui, nous n'allons pas vous présenter les premiers résultats qui émergent de façon exhaustive, mais nous allons axer notre propos autour de deux points.
À savoir, premièrement, vous partager nos réflexions sur la systémie comme pouvant produire, à la fois, une compétence et un métier. Et deuxièmement, sur les actions concrètes à mener pour que le métier de systémicien soit reconnu. Ces éléments relèvent, bien évidemment, de ce qu'on a pu nous dire les professionnels qui ont participé aux focus groups, notamment.
Alors, effectivement, pour répondre à la question de savoir si la systémie est une compétence ou un métier, il faut, au préalable, être clair sur la distinction entre ces deux notions. La compétence est une combinaison de capacité à agir, regroupée au sein de savoirs, de savoir-faire et de savoir-faire relationnels qu'on appelle encore aujourd'hui les "soft skills". Elle est mobilisée, généralement, de façon appropriée par rapport à une situation de travail donné pour obtenir un résultat. Donc, cette compétence peut être commune à plusieurs métiers. Le métier, quant à lui, se centre sur les compétences, mais aussi sur les activités.
Il comprend également un ensemble de règles morales spécifiques à la communauté d'appartenance et à une identité professionnelle qui permet de se définir socialement. "Je suis coach", ce n'est pas pareil que si "je suis médiateur" ou si "je suis systémicienne". Concrètement, pour illustrer davantage cette distinction entre compétences et métier, Grégoire prend souvent un exemple qui est très parlant, c'est celui de l'ostéopathie. L'ostéopathe, c'est un métier qui peut être exercé à plein temps par certains à l'issue de plusieurs années de formation. Mais ça peut être aussi des compétences acquises, par exemple, par des kinésithérapeutes et dont ces derniers vont se servir de façon plus marginale dans l'exercice de leur activité.
Une fois qu'on a dit ça, il est intéressant également de préciser ce qu'on entend par la reconnaissance d'un métier. Là encore, nos échanges avec Grégoire Vitry permettent de distinguer trois niveaux de reconnaissance pour un métier. Le premier niveau, c'est le niveau de psychopraticien qui peut correspondre aussi à l'inscription au répertoire spécifique de France Compétences qui reconnaît donc, là, des compétences. Le niveau deux, au-dessus, c'est l'inscription du métier au RNCP, au Répertoire national des certifications professionnelles. Là, encore, via France Compétences. L'exemple typique, c'est l'exemple des métiers d'ostéopathe, de sophrologue ou encore d'art-thérapeute.
Puis, enfin, le troisième niveau, encore un peu plus ambitieux, c'est lorsqu'un métier est déployé par un ministère, lorsqu'on a un titre d'État, comme c'est le cas pour le métier de psychologue. Ces notions étant définies, nous pouvons maintenant vous faire part, en avant-première, des premiers résultats de notre étude qualitative.
Première question, la question de savoir si c'est une compétence ou si la systémie est un métier. On peut, d'ores et déjà, répondre que, bien sûr, ça peut être une compétence détenue par des professionnels, par un professeur, par un manager, mais ça peut être aussi un métier parce que, comme l'ont dit nos experts, la systémie, le systémicien se caractérise par le fait, bien sûr, de prendre en charge des problèmes collectifs, c'est-à-dire qu'il s'occupe des systèmes et des groupes. Son rôle est alors différent de celui du médecin qui s'occupe davantage de l'individu seul (pris élément).
Puis, la prise en charge se fait à un niveau où la complexité a pris le dessus, c'est-à-dire où l'irrationnel et l'émotionnel ont pris le dessus. Nos experts nous disaient que finalement, ce métier, c'est un peu le métier de "problem-solver", résoudre des problèmes de situations complexes qui impliquent le système, le groupe et l'individu dans son contexte. Comme les médiateurs qui interviennent dans des sphères variées, le métier de systémicien se décline dans plusieurs champs pour prendre aujourd'hui trois formes principales. Celle de systémicien clinique, celle de systémicien du travail et enfin, celle de systémicien de l'éducation.
Les compétences inhérentes à ces métiers ont été formalisées par des groupes de travail et sont visibles sur le site du syndicat Sypres. Nous allons poursuivre cette présentation en évoquant les actions à mettre en place pour institutionnaliser le métier de systémicien telles qu'elles ont été priorisées par nos experts. Comment reconnaître le métier ? Première action : communiquer. Communiquer, oui, mais quels sont les arguments à mettre en avant ? Nos experts nous ont donc dit que le premier argument, selon eux, qui était à mettre en évidence, c'est celui de l'efficience. L'un d'eux a même eu la jolie phrase "l'efficience, c'est le changement en douceur et à moindres frais" sur des situations très sensibles, typiquement les situations de harcèlement ou de conflit. Et c'est vrai que les articles scientifiques publiés par Grégoire Vitry et ses collègues montrent clairement l'efficience de l'approche systémique puisque, en moyenne, Grégoire Vitry montre que la durée de traitement est évaluée à 5,5 mois — 5,3 séances — et que le taux de réussite, la résolution du problème est de 81 %.
Deuxième argument à communiquer, c'est que le systémicien participe à une approche globale de la santé. Enfin, troisième argument à mettre en avant, c'est qu'il agit à un niveau où la complexité a pris le dessus et qu'il est apte à faire face à l'incertitude. Néanmoins, deux grands points de vigilance ont émergé des focus groups concernant ces actions de communication. Le premier insiste vraiment sur l'idée de ne pas être théorique dans notre façon de communiquer.
Ainsi, rentrer dans des explications, par exemple, sur ce qu'est l'homéostasie est susceptible de perdre un auditoire non initié à l'approche systémique. Le second point de vigilance invite à éviter d'être dans une logique comparative en disant, par exemple, que l'approche systémique serait meilleure que d'autres approches. Deuxième grande action qui est à mettre en œuvre pour institutionnaliser ce métier, c'est, bien sûr, recruter ; recruter des systémiciens. Là, on s'est finalement demandé où ces systémiciens exerceraient. Ils exercent d'abord dans des cabinets indépendants selon nos professionnels. En termes de recrutement, selon nos experts, l'idéal serait que les politiques publiques recommandent le recrutement de systémiciens du travail pour les entreprises qui ont plus de 500 salariés.
Dans le champ de l'éducation, il s'agirait de recruter au moins 1000 systémiciens, voire davantage jusqu'à 5000. Alors, le focus group sur le métier de systémicien clinique n'ayant pas eu lieu, nous n'avons pas encore de premiers résultats en la matière sur l'axe du recrutement. Troisième grande action à mener, c'est former et former sur ces métiers, systémicien du travail, systémicien clinicien, systémicien de l'éducation, et proposer des formations qui peuvent également être diplômantes et universitaires a minima, telles que des diplômes d'université qui sont des diplômes locaux d'université et non pas nationaux — mais à terme, nationaux, c'est également quelque chose qui est préconisé.
Puis, quatrième grande action pour institutionnaliser le métier, c'est le lobby, c'est-à-dire des actions politiques. Il s'agirait évidemment d'améliorer encore la visibilité institutionnelle du syndicat Sypres qui existe déjà et qui a déjà fait un énorme travail, et peut-être de valoriser encore davantage le travail normatif qui a été effectué et qui permettra, de plus en plus, de légitimer le fait que la systémie est un métier. Concrètement, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que Sypres précise, en se basant, par ailleurs, sur les pratiques d'acteurs institutionnels œuvrant dans des champs connexes, qu'il est nécessaire d'avoir suivi au moins 500 heures de formation sur trois années pour prétendre au métier de systémicien.
Au-delà de cette visibilité, il s'agit également de continuer les actions politiques, notamment de rencontrer des parlementaires comme l'ont déjà initié Grégoire Vitry et ses collègues, en venant avec des propositions telles que celle, bien évidemment, la première, reconnaître le métier de systémicien avec un diplôme d'État, proposer des formations à la systémie dans les cursus universitaires. Puis, bien d'autres propositions telles que sensibiliser, telles que le fait que les politiques publiques puissent sensibiliser, par exemple, les entreprises à la prise en charge biopsychosociale pour accompagner les salariés. Donc, j'ai été, bien évidemment, très synthétique et bien d'autres choses sont ressorties de cette première étude qualitative. Pour respecter le temps imparti, je vais m'arrêter là et je vous remercie pour votre écoute.