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      A l'occasion de la sortie du livre "Quand le travail fait mal", Claude de Scorraille est interviewée par Doctissimo.

       

      Quels sont les premiers signes du burnout ?

      Il n'est pas simple de répondre à cette question car ce que nous qualifions de burnout, c'est le point culminant d'un processus qui peut être plus ou moins long. C'est le moment où les fusibles sautent, où le corps s'effondre, où l'on n'est plus en capacité de travailler.

       

      Quelle différence y a t-il entre dépression et burnout ?

      Le burnout est un processus qui fait agir de plus en plus la personne atteinte. Elle met dans son comportement toujours plus de contrôle, et ce faisant, pense qu'elle n'est pas à la hauteur par rapport au manager ou aux collègues. Par excès de contrôle, elle perd complètement le contrôle de la situation et s'épuise.

      La dépression entraîne une incapacité temporaire à agir.

       

      Lorsque l'on a commencé à parler de burnout, c'était surtout les personnels soignants qui étaient touchés ?

       En effet, dans les années 70, on a parlé du burnout des personnels hospitaliers. Aujourd'hui, le burnout peut toucher n'importe quel individu dans n'importe quel secteur privé ou public.

       

      Pourquoi ? Pour nous, ce mal être se trouve dans la relation que cet individu a avec son milieu, son contexte, de nouvelles contraintes mais aussi dans son rapport à lui-même. J'ai par exemple reçu quelqu'un récemment qui me disait qu'il s'était sur-investi dans son travail parce que cela lui avait permis de ne pas penser à son environnement professionnel en cours de restructuration.

       

      Les premiers signes peuvent-ils passer inaperçus ?

      Lorsqu'il y a investissement dans le travail, puis surinvestissement , à un moment, cela dérape. Voilà par exemple une personne consciencieuse , peut-être trop discrète, et on va profiter de son engagement pour lui demander plus. C'est fréquent par exemple sur les plate-formes téléphoniques, lieux de performance où la pression est incessante au nom de l'efficacité qui reste toujours à démontrer.

       

      Y a t-il un profil type des personnes souffrant d'un burnout ?

      Le bien-être, c'est d'abord la relation entre soi et son corps, ses collègues et le contexte. Tous ces éléments contribuent à créer un équilibre. Lorsque cet équilibre se rompt, si la logique de fonctionnement prend la forme de la peur (peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas atteindre les objectifs, peur d'être jugé par les autres...), on va agir selon différentes logiques : évitement pour ne pas sentir cette peur, contrôle pour anticiper cette peur, croyance, par exemple, que l'on a du mal à coopérer avec les autres, qu'il n'y a pas de confiance dans l'équipe......et on perd le contrôle. Bref, on ne s'en sort plus et on tombe.

       

      Quel conseil donneriez-vous pour éviter le burnout ?

      Il faut regarder comment la pression est alimentée : risque de décevoir, environnement axé sur l'efficacité au-delà de ce qui est demandé, petits risques relationnels. Ce peut être un cocktail assez complexe. Dans un contexte de cette nature, on peut vite oublier les signaux du corps.

       

      Peut-on se sortir seul d'un burnout ?

      Comme je l'ai souligné, le moment où le diagnostic du burnout est fait, il y a chez la personne atteinte une perte de sens. La phase d'après est celle au cours de laquelle le corps reprend ses droits. Le retour au travail doit se faire selon des modalités particulières. On voit ce que souhaite la personne, si elle est en capacité de reprendre son travail, au même poste, ou si, trop impressionnée, elle ne veut plus y aller car ne se jugeant pas en mesure de se protéger.

       

      Tout dépend de la personne, de ce qui est engagé dans le burnout. Quand un mal s'est installé, la thérapeutique doit être aussi lente que le processus qui l'a mis en place. La convalescence va s'adapter au rythme de la personne.

       

      Peut-il y avoir rechute ?

      S'il y a rechute, c'est que la transformation n'a pas opéré. Agir différemment par rapport au travail, interagir différemment, resentir différemment, se concevoir comme quelqu'un qui renaît de ses cendres, c'est ce sur quoi nous travaillons avec nos patients, dans une perspective de plus de force devant l'épreuve pour que la vie reprenne.

       

      Comment expliquer une telle expansion du burnout ?

      Le burnout est symptomatique d'un construit social qui n'a plus la capacité de remettre en cause ses propres règles de fonctionnement, de remettre en question son mode d'action, de décision.

       

      Vers une reconnaissance du burnout en tant que maladie professionnelle ? Qu'en pensez-vous ?

      Je dois reconnaître que nous sommes très embarassés par rapport à cette question.

      Vous êtes malade de votre travail certes, mais l'individualisation du problème va empêcher la régulation dans l'entreprise. Le salarié va être dédommagé par l'entreprise coupable. Mais c'est la relation qui doit être mise en cause et donner lieu à des changements individuels et collectifs. L'entreprise est un écosystème et doit être traitée comme tel.

       

      Prenons le cas du harcèlement moral. Le phénomène a pris de l'ampleur, il y a une loi mais quand on regarde les définitions, il est difficile d'identifier un coupable. Et l'espoir de régulation s'est évanoui.

       

      C'est la même chose pour le burnout. Le risque, c'est la judiciarisation du problème sans remise en question de l'organisation. Et tout le monde peut demain être en défense devant les instances prud'hommales.

       

      Un entrepreneur peut-il être en burnout ?

      Il faut regarder les difficultés présentes, comment on les accompagne, quelles sont les plaintes de l'entrepreneur aussi bien que des salariés. Pour aider à la résolution du ou des problèmes, nous mobilisons des acteurs : employeur, manager, DRH, médecin, médecin du travail, représentants syndicaux parfois. Et l'on regarde ce que l'on fait des préoccupations de l'intéressé quel qu'il soit, son objectif, la position de l'employeur pour que les choses commencent à se transformer.

      Il peut s'agir d'une modification individuelle et/ou collective.

       

      Quelle est selon vous l'erreur à ne pas commettre ? 

      Considérer top vite que la personne ne peut pas revenir à son poste de travail. Il faut la soulager, mais une réponse rapide définitive par un repositionnement par exemple fait que la personne risque de se retrouver à l'étroit, ce qui va poser un autre type de problème.

      Une autre façon erronée de gérer la situation est d'être trop bienveillant, de trop dédramatiser, de sur-protéger, car, alors, on fragilise la personne.

       

      Que pensez-vous de l'idée d'intégrer des psys dans l'entreprise ?

      Le bon sens pourrait faire dire "puisque les organisations n'y arrivent pas, on va mettre des psys". Nous, nous pensons que ce sont des décisions qui viiendraient dire aux dirigeants qu'ils sont incapables de régler les choses par eux-mêmes ce qui n'est pas un bon signal.

       

      Quelles sont les difficultés  à surmonter ? La personne qui est embarquée dans un excès d'investissement cherche la plupart du temps à neutraliser une insécurité. Elle peut ne pas être demandeuse d'une action particulière.

       

      En systémique, qui est notre modèle d'intervention, nous travaillons avec ceux qui à l'intérieur du système sont mobilisables.

       

      Une reconversion est-elle la solution ? 

      Assez souvent, après une forme aigüe de surinvestissement - période pendant laquelle on a été négligent, on a eu des oeillères - on se relie autrement à soi. On a envie d'être par exemple davantage en relation avec ses enfants, son conjoint. Cela conduit la personne concernée à faire moins de compromis.


      On dit qu'un bon départ est un départ fait au bon moment ; il n'est de toute façon pas normal de se tuer au travail.

      Le travail est bon pour la santé ; les meilleures conditions sont sans doute de rester où l'on est en changeant, avant de s'aventurer, peut-être, sur un autre chemin.

       

      Sur le burnout des entrepreneurs et des suicides qui en ont été la conséquence, je dirai que ce qui anime la personne coincée dans la souffrance, c'est d'avoir le sentiment qu'elle a tout essayé et que la seule bonne solution est de disparaître.

       

      Alors que la logique de comportement dans une situation devenue rigide est de lâcher les rênes pour retrouver de la souplesse dans la relation et reprendre du contrôle.

       

      On parle aussi désormais de boreout ?

      L'être humain aime généralement être actif. Si l'on s'ennuie au travail, on peut soit se résigner, soit continuer à être dans l'initiative, la créativité même si la situation est difficile. Il y a en effet des organisations où on est très empecé ; mais le travail est un objet économique et le lâcher peut créer une peur des conséquences.

       

      S'épanouir au travail, c'est bien regarder les choses, bien agir avec les autres, être ou devenir plus souple. On peut être en conflit dans l'entreprise sans que cela fasse nécessairement mal.

       

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