La dépression nous confronte au piège du renoncement et donc de la résignation. Ce qu’on appelle la résignation n’est autre que du désespoir confirmé.
Confirmé par qui ?
Une professionnel qui renonce est une personne qui dans son contexte de travail peut renoncer et cela suppose l’implication de son entourage : que ce soit le manager, les collègues et quand les choses se compliquent la direction des ressources humaines, le médecin du travail et les représentants du personnel. Leurs tentatives de solution face à la plainte consiste à l’écouter, voire à l’encourager ou à ne donner aucun espace d’écoute.
Face au renoncement du professionnel, qui du coup n’est pas efficace comme on pense qu’il pourrait l’être, la tendance comportementale est alors de faire à sa place ou de faire faire par les collègues ou d’autres (un stagiaire ou un intérimaire par exemple). L’entourage va se mettre à compenser de manière opérationnelle l’inefficacité du collaborateur.
Mais au bout d’un certain temps, n’arrivant pas à apaiser le problème que pose ce professionnel on finit par renoncer à toute amélioration de la situation. On renonce à le responsabiliser sur des objectifs opérationnels à atteindre, on n’a plus vis-à-vis de lui des attentes professionnelles. Mais d’un point de vue comptable cette personne est considérée comme une ressource professionnelle existante.
Et quand cela devient problématique, par exemple en situation économique tendue on envisage alors une solution radicale : une mutation, un licenciement qui sera évidemment très mal vécue par cette personne. A ce stade, on remarque souvent une situation de crise difficile à gérer car beaucoup d’interlocuteurs sont impliqués.
On a repéré deux types d’autorité managériale favorisant le processus dépressif:
1) La première est celle qui se caractérise par une logique sacrificielle. Le manager redoute de perdre son autorité s’il manifeste auprès de son collaborateur un mécontentement sur son travail. Pour garantir une bonne relation, il va faire à sa place et compenser les manquements. Evidemment à chaque fois qu’il fait à la place de son collaborateur, le message implicite qui l’accompagne est « tu es incapable de faire ».
2) Une autre forme d’autorité est fréquente, celle dont la caractéristique est l’hyper-protection. Le manager perçoit son collaborateur comme une personne fragile. Il cherche à le protéger en le soulageant de toutes ses difficultés, jusqu’à intervenir à sa place et se substituer à lui.Le message implicite est le même que précédemment, « tu es incapable ». Evidemment cela profite activement au renoncement…
On peut dresser le piège dans lequel se trouve le système, en partant :
De l’espoir : d’être à la hauteur d’une situation. En adoptant une stratégie soit sacrificielle (je fais à la place pour me faire apprécier) soit hyperprotectrice (je fais à la place pour le ménager). Mais tout constat de ne pas parvenir à changer la situation crée une désillusion qui va alors stimuler les tentatives de solution : de donner trop de place à la plainte, de faire à la place, etc.
Jusqu’au moment (et souvent cela prend du temps…) où l’on va renoncer à toute relation opérationnelle avec un phénomène de contagion systémique.
Notre méthodologie d’intervention
Nous faisons d’abord un diagnostic opératoire auprès du système pertinent. On mobilise les acteurs. Le processus d’intervention tient compte du temps qu’il a fallu pour que la situation devienne problématique afin de mettre en place un espace temps d’intervention qui suive le précepte d’Hippocrate : il faut réparer lentement les corps qui ont mis longtemps à dépérir et vite ceux qui ont dépéri en peu de temps. Pour cela nous négocions avec le commanditaire et la hiérarchie le temps nécessaire pour obtenir du changement, l’enjeu étant de faire baisser l’urgence du changement pour rendre les efforts persévérants.
Dans le cas d’une intervention indirecte avec le manager, lorsque nous constatons une autorité détériorée, nous l’aidons à investir la relation professionnelle en leader, avec une autorité plus forte afin de briser la logique du tout ou rien. Cela consiste à :
- Envisager la relation d’un point de vue opérationnel: quelle performance attend-on de son collaborateur ? ;
- Face à cette attente, faire l’état des lieux sur ce que la personne est encore capable de faire ;
- Fixer un micro-objectif de changement (SMART) qui sera contrôlé afin de responsabiliser son collaborateur
L’intervention avec le « dépressif » nécessite de calibrer sa communication sur un mode contradictoire car le “dépressif” à une mode de résistance au changement oppositionnel “oui je veux changer...mais j’en suis incapable”. Ce qui revient à dire non au changement.
On a toujours de bonnes raisons pour renoncer, et plus on est incapable de faire et plus on est diminué pour faire face aux difficultés de la vie en général et du travail en particulier. Mais comme nous le dit Hemingway dans le vieil homme et la mer :
Un homme ça peut être détruit mais pas vaincu