Boris CYRULNIK
Retranscription
le titre est très stimulant, parce qu'on ne pourrait pas mourir si auparavant on n'était pas vivant. Donc, les deux sont associés et ce qui est associé aussi, c'est la vie et la souffrance. Pourrait-on vivre sans souffrance ?
Je propose de distinguer la douleur et la souffrance. La douleur, elle contient, elle est supportée par les voies de la douleur, c'est-à-dire que c'est de l'anatomie, de la physiologie, de la transmission synaptique et on partage ça avec beaucoup de mammifères et une grande partie du monde vivant, puisqu'on dit même que les plantes souffrent et on dit même que le sol peut aussi souffrir, mais je crois qu'il faut distinguer "douleur", qui est un socle neurologique, et "souffrance", qui est particulièrement développée quand on a une corticalisation, c'est-à-dire quand on peut développer un système nerveux qui nous permet de se soumettre à la pression de l'autre, des relations et du milieu.
Je crois qu'on peut faire cette distinction, parce que "souffrance", ça vient de "sulfero", "supporter", je supporte plus ou moins bien la douleur. Une même information de douleur peut être plus ou moins bien supportée selon notre développement et nos relations, c'est-à-dire selon la corticalisation. Alors ça, c'est juste pour l'introduction, de quoi je vais essayer de parler.
La douleur est inévitable, elle est même nécessaire. J'ai eu l'occasion de voir un cas d'agénésie des fibres C, où la femme n'avait aucune douleur et un jour, en faisant sa cuisine, elle a senti une odeur de bifteck grillé. La porte du four s'était ouverte, c'était sa jambe qui était en train de griller et elle ne s'en rendait absolument pas compte.
Ça veut dire que la douleur est un mécanisme adaptatif qui nous permet d'éviter de nous adapter au milieu, de fuir, de s'adapter ou d'affronter, exactement comme la plupart des êtres vivants [....]