par Edith Goldbeter-Merinfeld
En cours de sortie progressive du confinement (ce n’est qu’un début), on constate l’importance des réseaux et à quel point nous sommes des êtres sociaux. La privation de relations quotidiennes, normales et régulières, nous amène à voir comment, quand tout se passe normalement, nous vivons et nous respirons dans nos réseaux.
C’est en 1957 qu’Elisabeth Bott, inspirée par l’anthropologie, introduit le concept de réseau social, que l’on peut définir ainsi : ensemble des chemins matériels et fictifs qui relient les personnes entre elles de manière informelle et spontanée.
La dimension thérapeutique des réseaux est relevée de façon marquée à la fin des années 60 et au début des années 70, moment où beaucoup cherchaient des alternatives à l’internement psychiatrique. Mony Elkaim a joué un rôle important dans l’usage des réseaux, de même que l’italienne Silvana Montagano. Le réseau est pour eux un moyen de mettre en mouvement les relations interpersonnelles quand elles sont sclérosées. Des réseaux artificiels peuvent être mis en œuvre : en thérapie de nouvelles personnes sont introduites dans le réseau des patients. Pour Silvana Montagano, un réseau est thérapeutique simplement parce que c’est un réseau : il peut soutenir et contenir quelque chose, des souvenirs, des objectifs, des idées, des douleurs, des fantaisies … Un réseau de soutien a un caractère indispensable pour une grande majorité de personnes.
Deux personnes ont joué un rôle important : Ross Peck aux USA qui a créé la network therapy, et Jean-Marie Lemaire en Belgique qui a créé la clinique de concertation dans laquelle le réseau est composé de la famille d’une part, et des professionnels impliqués auprès des membres de la famille, d’autre part. Ce réseau est un groupe de soutien pour la famille.
Le soutien social procuré par les réseaux joue comme une protection qui a un effet sur la santé physique et émotionnelle. La recherche a mis en évidence un « effet tampon » entre un évènement stressant (l’expérience de cet évènement ou l’appréhension de cet évènement par la personne) et la réaction ou la recherche de solutions par la personne qui subit le stress. Un individu qui perçoit qu’il peut être soutenu, définit mieux ce qui le stress et appréhende mieux les moyens de maitriser ce stress. Le réseau élimine en quelque sorte ce qui fait obstacle à la recherche de solutions, au contraire il favorise l’élaboration de solutions (ou réduit l’impact de la perception en aidant à mettre en place des solutions). La relation entre le réseau social et la santé mentale, n’est pas linéaire : elle est circulaire. Une détresse psychologique peut être causée par le manque de soutien social et l’absence de réseau, et symétriquement, en être le résultat : le contexte est circulaire.
Pour les adolescents et les jeunes adultes, le réseau contribue au bien-être dans des contextes de difficultés intra familiales, face à des problèmes d’identité sociale ou dans des contextes d’adversité. Un groupe d’amis par exemple procure un soutien de remplacement en l’absence de soutien de la famille, il peut même jouer le rôle d’une famille de remplacement dans les cas de privations affectives graves. Il procure également des possibilités supplémentaires de s’identifier. Pour les personnes isolées les réseaux secondaires (intervenants et services publiques) sont très utiles.
Dans notre contexte culturel les réseaux spontanés naissent à l’école, dans les mouvements de jeunesse ou dans le monde du travail : ces environnements permettent de bâtir des réseaux de pairs hors de la famille. Le travail alimente de manière considérable le réseau des actifs. Sans réseau, c’est-à-dire sans travail, sans amis et sans famille, c’est l’isolement.
Au cours du confinement les échanges par les moyens techniques actuels (zoom…) ont permis de rétablir ou de créer des réseaux sociaux de soutien. Les gens n’ont pas attendus les psychologues pour savoir qu’il est important d’animer et de ranimer les réseaux, comme si la limitation des contacts nous faisait ressentir à quel point il est nécessaire d’entretenir notre réseau, de manière active. Le contexte du confinement au domicile et l’absence de contacts quotidiens a eu paradoxalement un effet sur l’entretien et élargissement du réseau social. La réduction des rencontres en présentiel a conduit à développer les réseaux en distanciel. Plus on est obligés d’être isolés, plus on tend à développer les relations extérieures, à distance. Donc on amplifie contacts et/ou on recherche de nouveau des liens anciens.
L’être humain se rappelle qu’il est fondamentalement un être relationnel : il conserve les relations, les amplifie, recherche des contacts. Le confinement nous a permis de redécouvrir cela.
Vivre seul et croiser des inconnus, peut remplir un espace humain. Mais en confinement, ne plus voir personne ou seulement des ombres masquées et pressées de rentrer chez elles, des individus dont on n’identifie pas les traits … l’expérience est différente.
Quid des rituels et de leurs effets sur les réseaux ?
Les réseaux se consolident toujours dans des rituels qui tracent une forme de frontière entre ceux qui appartiennent au réseau, qui partagent des valeurs et ceux qui n’en font pas partie. Le réseau trace une forme de frontière entre ce monde et l’extérieur, délimitant un système ou un territoire. Partager des rituels signifie appartenir à un groupe.
Dans les rituels, les temps individuels sont synchronisés par le temps du groupe. Le temps est rythmé par des passages, comme s’il passait par des sortes de postes de douane. Dans le confinement les rituels sociaux et intra familiaux ont pris de l’importance, ils ont ponctué le temps et produit un effet rassurant lié à l’inscription dans une structure temporelle (le télétravail au contraire prive de certains repères temporels). Les rituels tracent le passage du temps, ils contiennent une dimension de mouvement, avec un avant et un après. Le moment du rituel est bien défini, avec la préparation avant (par exemple préparation de l’apéro à distance), et la métabolisation de ce qui s’est passé, après, par le biais d’un média. Les apéros à distance ont eu un effet sécurisant, lié au plaisir partagé, au partage de conditions similaires : dans le confinement on est pareil, on se comprend et on prend du bon temps.
Les applaudissements pour les soignants ont été également un rituel traçant des frontières de voisinage, mais aussi au sein de groupes culturels plus larges, puisque la pratique était répandue dans les pays, voire dans les continents. Le rituel est rassurant : on existe car on appartient. Le sentiment d’appartenance est important : nous sommes des êtres relationnels, des êtres « appartenants ».
Que deviendront ces réseaux tissés pendant le confinement ? A l’avenir ces réseaux d’anciens confinés (ou anciens résistants au confinement) se maintiendront-ils ou seront-ils détricotés pour laisser place à de nouveaux réseaux ? Le confinement ne nous a-t-il pas humanisés par la prise de conscience de l’importance du relationnel ?
Propos recueillis par Pascale Baratay-Lhorte