Article de Vincent Olivier - L'EXPRESS - http://bit.ly/2oialt3
Burn-out, harcèlements, conflits relationnels, manque de reconnaissance…Non, le travail n’est pas toujours synonyme de santé – pour reprendre le thème de mon dernier post de blog – et parfois même « le travail fait mal ». Je cite ici volontairement le titre d’un ouvrage passionnant (« Quand le travail fait mal », par Claude de Scorraille, Olivier Brosseau et Grégoire Vitry. Ed InterEditions), rédigé par trois intervenants de LACT, un cabinet de conseil spécialisé dans les risques psycho-sociaux.
Leur particularité : s’appuyer sur l’approche systémique développée par l’école de Palo-Alto. Je ne vais pas développer ici ce qu’est l’approche systémique. Tout au plus indiquerai-je qu’elle interroge spécifiquement la relation entre un individu et son contexte de travail en observant les interactions – complexes et non linéaires- entre les deux. Ce post est donc issu de la lecture de ce livre et d’un entretien avec l’un des auteurs, Claude de Scorraille, psychologue et co-fondatrice de LACT.
Performance, engagements, objectifs… La tyrannie de la réussite obligée.
Je, tu, il, elle… Nous sommes tous performants. Ou sommés de l’être ! En soi, cette aspiration n’a rien de répréhensible : être performant, c’est en effet être en capacité de mobiliser toutes ses ressources, d’intégrer les contraintes, bref de faire du mieux qu’on peut dans un contexte parfois difficile. Là où les choses se gâtent, c’est lorsque cet idéal est érigé en norme absolue, focalisé sur des exigences normatives qui ne tiennent pas compte des capacités propres à chaque individu.
Car ce qui était pour certains une aspiration personnelle est devenu aujourd’hui un impératif permanent, dans l’entreprise, observe Claude de Scorraille. La performance devient alors un exploit à réitérer chaque jour, et donc impossible à capitaliser comme moteur de confiance interne. Résultat : entre peur de ne pas être à la hauteur, sentiment d’insécurité et pression insupportable, le salarié souffre et se désengage progressivement.
Évitement, contrôle et (fausse) croyance : comment se protéger ?
Évoluer, innover, s’adapter… Bref, « être agile » : tel est le mantra de l’entreprise du 21ème siècle. Encore faut-il vivre le changement permanent comme une chance et pas comme une contrainte, ce qui exige une capacité d’autonomie et d’initiative forte, voire exceptionnelle – encore faut-il aussi au passage, que l’entreprise vous permette de mettre en œuvre une telle capacité…
Face à cette exigence, le premier réflexe est bien souvent l’évitement, rappelle à ce propos Claude de Scorraille. Concrètement, le salarié risque de se replier sur les tâches qu’il maitrise pour « éviter les balles perdues ». Cette réponse est effectivement fonctionnelle, au moins dans les premiers temps, car elle procure un certain soulagement. Mais « l’évitement engendrant l’évitement », comme le souligne la spécialiste, la situation va se tendre peu à peu et aboutir à un blocage général : « vous êtes des incapables » dira la hiérarchie ; « vous nous prenez pour des enfants », répondront les salariés. Un partout balle au centre !
Autre réaction possible : la volonté de contrôle, c’est-à-dire celle de peser sur les événements, de s’y confronter dans l’espoir d’en sortir gagnant. Là encore, la réponse peut sembler satisfaisante puisqu’elle donne un sentiment de puissance et d’utilité. Mais très vite, elle se heurte au principe de réalité dans la mesure où « dès qu’on pense avoir le contrôle, on fait l’expérience qu’il nous échappe » note Claude de Scorraille. Conséquence : dans un mécanisme de boucle sans fin, le salarié passe de la maitrise à l’impuissance, de l’illusion à la déception.
Enfin, il y a la croyance. Ou, plus exactement, toutes les croyances qui nous habitent. Celles qui donnent de l ‘assurance, du sens à nos actions, des repères et de la confiance. Mais aussi, parfois, celles qui nous maintiennent dans l’illusion que « l’on pense ce que l’on vit en étant convaincu de savoir ce qui motive l’autre », pour reprendre la formule de Claude de Scorraille. Or, il est impossible d’être dans la tête d’autrui. Pire : au moindre doute, cette illusion se retourne contre soi, contre l’autre et le salarié se retrouve alors dans une posture défensive, envoyant sans le vouloir à son supérieur des messages négatifs et contreproductifs.
Alors ? Alors, on le voit, il n’existe pas de remède miracle. Tout au plus quelques réactions salvatrices : parler – à ses collègues, à son entourage ; renoncer – à répondre à des attentes irréalistes ; admettre – le réel, même insatisfaisant ; se protéger – parce qu’en définitive, la seule personne sur laquelle on a prise, c’est soi-même. Ça ne suffit pas toujours. Mais c’est un premier pas.