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      Article de Francine Aizicovici, François Béguin, Sandrine Cabut, Alexis Delcambre, Alexandre Piquard, Anne Rodier et Catherine Vincent - LE MONDE

      Les psy au chevet d’une France sous le choc

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      Avant toute chose, il fallait s’occuper des survivants. Ceux qui s’étaient trouvés au cœur des attentats, blessés ou à portée de balle, dans la rue ou dans l’enfer du Bataclan, ceux qui avaient vu tomber des proches, mourir des amis. A tous ceux-là, le soutien médico-psychologique était indispensable et le restera peut-être longtemps. Mais ils ne seront pas les seuls à avoir besoin d’aide. Quelques heures à peine après les fusillades, les médecins qui ont porté les premiers secours plongeaient dans l’horreur. Et pour eux, également, rien n’est plus tout à fait pareil depuis la soirée du 13 novembre.

      « Tout le monde est groggy, sonné. Il y a une pesanteur, une lourdeur qui va demander beaucoup de temps pour être évacuée », reconnaît le docteur Jean-Paul Fontaine, chef du service des urgences de l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement de Paris, qui a pris en charge 27 victimes cette nuit-là. Ici, la proximité de plusieurs sites attaqués crée un rapport particulier avec les actes terroristes. Il y a ceux qui, trop fatigués ce vendredi soir, avaient renoncé à la dernière minute à aller boire un verre au Carillon. Ceux qui ont entendu les tirs en terminant leur service, ceux qui sont revenus à pied, à vélo, en voiture dès qu’ils ont su… Pour le responsable de l’équipe, ce qui s’est passé ce soir-là est « inédit, inimaginable ». Même pour des soignants qui ont « une certaine proximité avec la mort ».

      « On va laisser filer les choses »

      Comment gérer le choc ? Jeudi 19 novembre devait se tenir en fin d’après-midi une première réunion de « débriefing » ouverte à tous les personnels du service, médicaux et non médicaux mais sans psychologue. « On va laisser filer les choses pour que les gens puissent raconter librement ce qu’ils ont vécu, qu’ils analysent tout ça, qu’ils disent où ils en sont », explique le docteur Fontaine. A la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), on précise que ce type de réunions collectives, dans les hôpitaux qui ont été aux avant-postes de la prise en charge des victimes, fut la « première demande des soignants ».

      Pour assurer le soutien psychologique de ses personnels, l’AP-HP a mis en place trois dispositifs. D’abord, une consultation spécifique, organisée dans le service de psychiatrie de l’Hôtel-Dieu, au centre de la capitale, où les soignants peuvent être accueillis individuellement par des psychiatres, psychologues ou médecins du travail. Mercredi soir, « une quarantaine d’appels avaient été reçus en vue de rendez-vous », précise son responsable, le docteur Nicolas Dantchev. Parallèlement, chaque site hospitalier ayant reçu des urgences lourdes lors des attentats dispose d’une cellule de crise pour son personnel. Enfin, ajoute le psychiatre, les équipes qui le demandent peuvent bénéficier d’un débriefing collectif sous l’égide du docteur Thierry Baudet, responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de Seine-Saint-Denis (93).

      « Encore plus nécessaire qu’après les attentats de janvier »

      Autre catégorie professionnelle située dans l’épicentre de la violence : les médias. Le groupe Vivendi a payé un tribut particulièrement lourd, puisque deux salariés d’Universal Music et deux collaborateurs de ses chaînes de télévision ont été tués durant les attentats. Dès samedi, des cellules psychologiques étaient mises à disposition de leurs collègues. Une démarche habituelle pour la chaîne d’information i-Télé, où des consultations sont ouvertes pour les reporters revenant d’une zone de guerre. Mais cette fois, compte tenu de l’affluence potentielle, le médecin du travail a été épaulé par des intervenants de la Clinique du travail et du cabinet Preventis. A BFM-TV également, en édition spéciale depuis le 13 novembre au soir, tous les salariés se sont vu proposer les services du cabinet de psychologues qui accompagne la chaîne. « C’est encore plus nécessaire qu’après les attentats de janvier. Cette fois-ci, beaucoup connaissaient des victimes, directement ou indirectement, car ils fréquentent ces lieux et ces quartiers », précise le directeur de la rédaction, Hervé Béroud.

      De manière plus globale, de nombreuses entreprises se sont organisées, depuis le début de la semaine, pour donner à leurs salariés la possibilité d’un soutien psychologique. A La Poste, la cellule d’écoute a enregistré une centaine d’appels depuis les attentats – deux fois plus qu’à l’ordinaire –, tandis que les médecins du travail soignent les salariés d’EDF, sous le choc après la perte d’un de leurs collègues. La majorité des grands groupes ont un dispositif d’accompagnement interne ou en partenariat avec des cabinets privés, qu’ils ont activé ces derniers jours. La loi met en effet à la charge de l’employeur l’obligation de veiller à la santé – physique et mentale – des salariés. Un devoir renforcé depuis la vague de suicides survenue chez France Télécom en 2008, qui a marqué le début de l’essor des cellules de soutien psychologique.

      112 passages aux urgences pour stress

      Qu’elles émanent de cabinets privés ou de mutuelles, toutes ont enregistré une augmentation des demandes depuis le 13 novembre. Comme ce fut le cas en janvier, après l’attaque contre Charlie Hebdo. « La moitié de nos clients nous avaient appelés dès samedi pour savoir comment réagir auprès de leurs salariés », indique Xavier Alas Luquetas, président du cabinet Eleas. Bilan de la première semaine post-attentats, le cabinet Psya, de son côté, a fait intervenir sa vingtaine de psychologues salariés. Mais il lui a aussi fallu, compte tenu des demandes, faire appel à des professionnels externes.

      Audiens, mutuelle de la presse, du spectacle et de la communication, vient, elle, d’ouvrir un dispositif de soutien aux collaborateurs du Bataclan. Depuis les attentats, elle a reçu « une demande d’accompagnement psychologique d’une soixantaine de salariés et d’intervention de psychologues sur site de la part de huit entreprises », indique son responsable des relations clients entreprise, Stéphane Lecoq, qui rappelle que « 40 des 129 décès dus aux attentats ont touché les métiers de la culture ».

      Après les actes terroristes qui l’ont endeuillée, la France va-t-elle se retrouver sous perfusion psychologique ? Au-delà d’un soutien immédiat, tous ces dispositifs sauront-ils assurer un suivi dans la durée pour ceux qui en auront besoin ? Y aura-t-il assez de psys pour tout le monde ? Seule certitude : d’après les chiffres préliminaires fournis, jeudi 19 novembre, par l’Institut de veille sanitaire (InVS), le nombre de personnes se rendant aux urgences d’un hôpital pour cause de stress a nettement augmenté dans la région parisienne depuis les attentats, particulièrement chez les 25-35 ans. « Au cours de la seule journée de samedi, 112 passages aux urgences pour stress ont été observés contre une quinzaine la veille en Ile-de-France », a précisé le docteur Thierry Cardoso, qui n’exclut pas « un effet rebond » après l’opération de police menée mercredi à Saint-Denis.

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