Grégoire Vitry :
Peut être, que l’on peut parler sur le sujet pour lequel on a prévu ton intervention qui est:
- les gens qui menacent de tentatives de suicide,
- les gens qui sont passés à l’action mais qui n’ont pas été au bout,
- les gens qui ont été concernés parce qu’ils ont un proche qui a été touché,
Tu souhaitais parler de la prise en charge et aussi des signaux faibles, d’un protocole, d’une façon d’intervenir te concernant.
Peux-tu nous en parler?
Teresa Garcia: Oui, tout a fait. J’avais réfléchi à ce dont on allait parler et je me suis dit que c’est peut être important de pouvoir donner un contexte en tant qu’experte en stratégie relationnelle et sur l’impact de la communication dans les interactions.
Qu’est ce que je pouvais amener comme compréhension par rapport au sujet?
Pour moi, il y a une grande différence entre quelqu’un qui est en train de faire une tentative de suicide de manière assez caractérisée parce qu’effectivement, on peut faire un vrai suicide raté et de l’autre, on peut dire que quelqu’un a fait une tentative de suicide mais de manière caractéristique, une tentative de suicide est plutôt une manière pour la personne de tenter d’avoir un impact sur les autres ou sur l’autre.
C’est à dire qu’elle a essayé de dire des choses mais peut être maladroitement, peut être elle n’était pas capable de dire les choses mais elle voulait avoir un impact sur les autres, elle ne supporte plus, elle voulait avoir un certain contrôle sur ce qui se passe pour elle ou dans la relation par exemple avec l’équipe, avec les managers.
La seule possibilité qu’elle entrevoit à un moment donné c’est de faire une tentative de suicide parce que là, on s’arrête, on se dit mais qu’est ce qui se passe ? Là on écoute.
C’est rare que l’on écoute pas et qu’on passe son chemin. C’est un peu comme quelqu’un qui fait une grève de la faim et qu’il ne faut pas confondre avec une anorexie, quelqu’un qui n’arrive plus à manger et qui est incapable et qui pourrait aller même jusqu’à la mort, c’est un symptôme.
Moi je les relie plus comme un appel en disant qu’il y a quelque chose qui ne va pas, ça n’est plus possible, je ne peux plus continuer.
En même temps, il s’agit de quelque chose qui est imposé aux autres c’est à dire que ce n’est pas une discussion, pas une négociation, c’est quelque chose qui est imposé aux autres et dans lesquels on est obligé d’en tenir compte.
Je me dis que là, les signaux faibles peuvent être
le contexte où l’on voit une personne qui ne va pas bien et que de plus en plus, elle se renferme mais on sent bien qu’elle n’est pas d’accord sur la décision.
On sent bien qu’il y a un changement important dans la manière d’être ou l’autre, ça peut être des personnes qui commencent continuellement à dire:
- « On ne nous écoute plus »
- « On a plus le droit à »
- « Ils sont fous »
- « Ils nous imposent des choses »
- « Ils ne comprennent rien à ce que l’on fait ».
Toutes ces choses font que la personne devient de plus en plus obnubilée et psychorigide par rapport à ce qu’elle raconte. Donc, ça peut être des signaux plus ou moins faibles, plus ou moins forts qui nous montrent que la personne devient hermétique et qu’elle nous vit comme étant hermétique.
Aussi, ce qui peut amener la personne à ce moment là, à faire cet appel, c’est le fait qu’elle puisse se sentir coincée parce qu’on peut décider à un moment donné, dans un poste ou dans un travail qu’on est plus entendu, on n’arrive plus à donner de soi, on n’arrive plus à bien faire son travail et décider de demander une mobilité ou de partir.
Mais les personnes dans cette situation ci, soit de manière égale, elles savent qu’elles ne peuvent pas lâcher.
Elles veulent réussir, peu importe les conditions, peu importe le contexte ou alors, elles ont peur ou elles ont des difficultés financières, elles sont trop terrifiées pour pouvoir demander un mouvement, et elles vont essayer à un moment donné de dire :
«Ca suffit, je n’en peux plus. »
Donc c’est intéressant de se dire que si une personne est en train de nous faire entendre que ce n’est plus possible de continuer, qu’on puisse prendre un moment, et dire « Ok, peut être, on a pas entendu. Ce n’est pas nécessairement qu’on va pouvoir changer toute l’entreprise pour t’entendre mais dis nous ce qui est en train de se passer pour toi? En quoi c’est difficile? Et qu’est ce qui se passe au quotidien pour toi?»
Revenir pour permettre à cette personne d’avoir la parole, évidemment tout en ne lui promettant pas que l’on puisse changer quoi que ce soit à ce moment là.
D’autre part, on peut entrer dans une autre situation qui peut être plus ou moins semblable à ce dont on était en train de parler d’une tentative pour se faire entendre. Mais ici, il peut y avoir quelque chose teintée de colère dans laquelle la personne va se faire du tort pour nous faire sentir coupable car elle est furieuse.
Elle dit: « Comme je n’arrive pas à t’atteindre et que tu t’en moques que cela me pose problème, je vais faire quelque chose qui ne va pas te laisser de marbre parce que je vais tellement te culpabiliser, je vais te donner l’impression que tu aurais pu tuer un être humain en ayant l’attitude ou le comportement que tu as. »
A ce moment là, elle va essayer de manipuler la situation pour que les gens se sentent coupables.
Là, évidemment, on peut dire que l’importance est de pouvoir être dans une entente. J’entends que tu puisses être furieux, ne pas être hermétique, ne pas être fermé mais en même temps, ne donnant pas l’impression que si la personne passe à l’acte, que cela s’éternise.
Par exemple: ne te justifie pas, tu n’as pas eu véritablement beaucoup de problèmes, tu as été furieux car tu as reçu un blâme, tu as reçu une sanction au travail mais il n’y a pas mort d’homme,
il n’y a pas de problèmes, donc tu peux continuer de fonctionner comme avant.
On sent que pour la personne, cela ne passe pas. Quelque part, elle va se dire: « je vais faire quelque chose de grave pour qu’ils se rendent compte que ça m’a touché ou je suis en colère et je vais te manipuler. »
Il y a un autre point avec lequel on peut faire des contrastes par rapport à ce que pourrait être le suicide; le suicide étant véritablement un point de non-retour, une perte de confiance absolue dans mes capacités et dans les capacités que toi tu pourrais avoir, que les autres personnes de l’équipe pourraient avoir, pour que ça puisse aller mieux un jour pour moi.
Donc à un moment donné, je renonce, je n’y crois plus. Je pense que la mort est la seule issue à la désillusion tellement grande que j’ai, de ce que je n’ai pas réussi à faire et vous n’avez pas réussi à le faire pour moi dans l’entreprise.
Donc là, il y a un véritable renoncement, une incapacité totale à se projeter et la personne ne va pas pouvoir imaginer qu’un jour, elle se sentira de nouveau bien, quoi qu’il arrive. Là, les menaces sont plus rares, il faut faire attention car elles ne sont pas nécessairement inexistantes.
Souvent, on se dit elle a des tendances suicidaires mais elle ne va pas le faire, ce n’est pas le cas. Parfois, les gens peuvent menacer en disant: « Je suis en train d’arriver à un point de désillusionnement complet de non-retour et on peut ne pas les entendre». Très souvent, la personne a essayé de faire des choses et à un moment donné, n’y croit plus, elle arrête.
Donc, quand on menace, je dirais qu’on est encore dans une sorte de croyance, que la personne peut nous entendre et elle pourrait y faire quelque chose.
Quand on ne menace plus, c’est qu’on est convaincu qu’il n’y a plus rien à faire. Il y a un aspect dans lesquelles, dans les menaces, dans les tentatives de suicide, on essaye de contrôler les situations ou contrôler l’autre et quand on se suicide, on est passé à autre chose.
C’est important aussi de savoir parce que parfois en tant que DRH ou en tant que manager, on sait malgré tout, qu’une personne a commencé à prendre des antidépresseurs, parfois les gens le disent entre eux ou « j’étais pas bien », « le médecin m’a donné des antidépresseurs. »
Ceci est important de le savoir parce que parfois, surtout les premiers moments, ceci peut être une phase beaucoup plus dangereuse qu’un passage à l’acte parce que quelque part, les antidépresseurs vont servir un peu comme une mise à distance, en essayant de faire que les personnes aient des émotions un peu plus émoussées.
Donc, à ce moment là aussi, les liens qu’elle peut avoir, le peu de liens qui lui reste pour s’accrocher à quelque chose même si elle n’y croit plus du tout, que sa souffrance va s’arrêter. Elle peut encore se dire que mes enfants, mes collègues, mes amis, d’autres personnes pourraient souffrir. Donc, ça peut garder une possibilité de temps, en tout cas, que l’on puisse prendre contact avec elle.
Parfois, les antidépresseurs vont émousser aussi, les sentiments, les liens qu’ils ont avec les autres et il peut y avoir des passages à l’acte.
La personne a plus d’énergie, moins de liens, émotions émoussées, donc cela peut être dangereux.
Il y a une chose qui me semble très importante. Dans le fait de la conception que l’on peut avoir du suicide ou de la tentative de suicide. J’avais envie de vous parler du contexte de l’interaction. C’est parce que l’on est convaincu que le suicide, le désespoir, la tristesse, le burn out, la dépression ne viennent que de l’intérieur et de l’individu.
Ca peut être quelque chose qui conduit à une douleur morale, beaucoup plus grande pour la personne.
Il y a une solitude je pense que c’est le mot solitude qui me semble vraiment essentiel dans le fait de caractériser une bonne partie d’une tentative de suicide et certainement un suicide.
Ca peut donner des options autres, et simplement se dire que le problème se trouve dans l’histoire de la personne uniquement dans l’image qu’elle a d’elle même, le fait qu’elle ait un problème avec la sérotonine, c’est ce qui fait qu’elle déprime ou pas.
Du coup, on se retrouve complètement isolé, incapable de pouvoir agir.
Souvent on a l’impression qu’une situation dans laquelle une personne est en train de donner des opinions plus faibles, plutôt fortes ou de plus en plus fortes concernant son désarroi, elle peut être déjà dans la manipulation, elle est furieuse, elle se sent coupable dans tout ce qu’elle vit, elle pleure beaucoup, elle se sent mal…
Dans cette situation là, on peut avoir l’impression que c’est non seulement intimidant, bien sûr que ça l’est mais aussi très compliqué et long.
Je pense qu’au contraire, le véritable moyen de se former avec quelqu’un qui travaille en stratégie relationnelle, qui travaille avec le modèle de Palo Alto que ça soit vraiment une heure simplement, et pouvoir vraiment détecter tout ce qui a été fait, de quelle manière sans le vouloir, on est en train de fermer et coincer la situation à la place d’ouvrir si possible.
Véritablement, il peut y avoir quelques phrases, un changement de postures qui peut être compris et auxquels le pouvoir, les RH, les managers ou les trois peuvent adhérer et qui puisse changer véritablement la situation très rapidement.
Parfois, je vois des solutions mais parfois, on a pas appelé quelqu’un qui peut être spécialiste en stratégie relationnelle en se disant: « il va falloir un coaching de 6 mois pour la personne », « il faudra aider les managers avec des dizaines et des dizaines de séances « on n’a pas les moyens », « ce n’est pas notre rôle ».
Face à ce type de problème pour l’entreprise, elle fait face à des responsabilités majeures dans des situations comme celles ci, elle va devoir laisser aller les choses elle peut aussi être taxée d’être harcelante.
Face à ça, il y a véritablement un moyen de trouver un changement majeur en très peu de temps.