Interview réalisé par Sophie HOGUIN pour ActuEL–HSE, journal en ligne des Editions Législatives ; informations et abonnement aux publications des Editions Législative ici
C'est avec cette image que Jack BERNON, responsable du département santé et travail à l'ANACT qualifie aujourd'hui cette instance. Il revient pour
nous sur les enseignements tirés de l'enquête menée pendant deux ans par le réseau ANACT sur les CHSCT et qui a jeté pour la première fois un regard sur le travail réel de l'instance.
Vous allez présenter officiellement l'enquête menée par l'ANACT sur les CHSCT à l'occasion de la 9e semaine de la qualité de vie au travail, de quoi s'agit-il ?
Jack Bernon : "Cette enquête, menée en collaboration avec l'université de Bordeaux (département d'ergonomie des systèmes complexes) a consisté à ausculter la vie de 27 CHSCT. L'originalité de l'enquête procède surtout au fait que pour la première fois on s'est intéressé au travail réel des membres de cette institution. Cela a nécessité non seulement d'écouter la parole des élus,de présidents mais aussi à les suivre au cours de leurs réunions, de leurs visites, à analyser leurs compte-rendus etc. Cela représente beaucoup de temps passé sur le terrain. Notre investigation interroge non seulement le fonctionnement de l'instance mais aussi et surtout sa production, ses résultats."
Si vous ne deviez retenir qu'une seule image de l'instance d'aujourd'hui, qu'en diriez-vous ?
J.B. : Je dirais que le CHSCT est un adulte qui a gardé ses souliers d'enfants ! En référence à un cadre vieux de 30 ans mais avec des missions et des sujets qui n'ont cessé de s'élargir. En effet, en 30 ans, le cadre de travail est devenu compliqué pour le CHSCT, son champ d'application s'est épaissi, ses moyens n'ont pas évolué et en même temps les frontières avec le comité d'entreprise ou les services hygiène et sécurité de l'entreprise se sont brouillées. Il est plus que nécessaire de redéfinir le cadre du CHSCT.
Votre enquête vous a amené à formuler plusieurs propositions sur lesquelles vous invitez les partenaires sociaux à réfléchir, pouvez-vous nous les détailler ?
J.B. : Oui, nous les avons organisées en plusieurs catégories : cadre de travail du CHSCT, développement des compétences de l'ensemble des membres, outils et soutien à l'action. Et nous les présentons notamment dans notre dernier numéro de Travail et Changement.
Cadre de travail : mieux définir où et quoi ?
J.B. : Les CHSCT se sont construits sur la base de la proximité. Mais aujourd'hui cette proximité n'est plus suffisamment pertinente. A l'heure où les décisions qui structurent l'organisation du travail se prennent dans les "Comex", au niveau des directions nationales ou de directions de groupe, il manque bien souvent face à cet échelon central, un échelon de dialogue social sur les conditions de travail. Ce niveau serait aussi l'occasion de la mise en réseaux des différents CHSCT. A titre d'exemple, beaucoup de grandes entreprises ont adopté une organisation matricielle et certains étages de décisions ne sont ainsi pas couverts par les CHSCT. Et
l'on peut dès lors s'interroger : Où se tient la discussion et le débat des partenaires sociaux sur l'organisation du travail ? Quant aux entreprises qui disposent d'une centaine de CHSCT mais qui n'ont jamais été en contact entre eux, on voit bien là qu'il y a une dissymétrie majeure entre la prise de décision concernant l'organisation du travail et les lieux de débats institués par la loi.
Compétences des acteurs : viser tout les acteurs et penser les contenus
J.B. : "Il est courant d'entendre à propos des CHSCT qu'il faudrait plus / mieux former les représentants du personnel... Mais, à l'ANACT nous pensons qu'il faut prendre cette problématique plus globalement et qu'il faut considérer le CHSCT comme une personne morale au sein de laquelle tout le monde doit monter en compétence, les élus comme les présidents. Le discours sur le sujet porte aussi beaucoup sur le temps alloué à la formation, mais il est rare d'en évoquer le contenu. C'est pourquoi nous préconisons de faire évoluer les formations des acteurs du CHSCT vers des formations-actions modulaires - c'est-à-dire outre la formation de base réglementaire sur le fonctionnement du CHSCT, des modules à suivre séparément et en fonction des besoins sur les enquêtes accidents du travail, ou l'intégration des risques psychosociaux etc. constituant ainsi un véritable parcours de formation. Par ailleurs, il faut prévoir des formations, des outils pour les présidents. Enfin, on peut aussi réfléchir à associer aux formations d'autres acteurs ressources qui ont tendance à agir très individuellement avec leurs propres références (ingénieurs des CARSAT, inspecteurs du travail, médecins du travail etc.). Car le fonctionnement efficace du CHSCT passe aussi par une réflexion sur la synergie entre les différentes approches qui y siègent et une réflexion sur les logiques de travail qui y ont cours.
Les outils à disposition des CHSCT
J.B. : "Là c'est le grand désert. En trente ans, la production d'outils à destination du CHSCT est extrêmement faible. Nous avons donc créé un premier outil d'auto-évaluation de l'action des CHSCT. Sans doute faut-il aussi outiller les CHSCT dans leurs relations avec les salariés qu'ils représentent. Il faut déjà se rendre compte que nombre de salariés ne connaissent même pas le CHSCT et son action reste souvent à l'image de sa composition. Par exemple, si une entreprise dispose de 3 ateliers et que les représentants au CHSCT ne proviennent que de 2 d'entre eux, il y a toute les chances pour que le CHSCT travaille beaucoup moins sur le troisième. La
représentation initiale est parfois un peu étriquée et donc très perméable à l'influence d'un directeur, d'un chef d'atelier, des syndicats etc. Nous préconisons ainsi aux CHSCT de faire un bilan de leurs actions et de faire une cartographie de là où ils sont allés, là où ils agissent. Les CHSCT disposent souvent de peu de traces de leur travail et à chaque renouvellement, le travail recommence à zéro. Sans compter le turn-over des dirigeants ou les tensions entre syndicats. Aussi se pose la question de l'inscription du travail du CHSCT dans la durée. L'outil d'auto-évaluation doit aider à ce repérage dans le temps.
Vous insistez sur le CHSCT comme instance de dialogue social et non technique, pourquoi cela ?
J.B. : Beaucoup de CHSCT ont endossé le costume de la prévention mais en tant que pratique technique. On les voit parfois se substituer à un service prévention pour rédiger le document unique, pour étudier l'ergonomie ou la sécurité des postes de travail ou encore pour rappeler les consignes de sécurité à leurs collèges. Mais ce n'est pas là son rôle. C'est une hérésie ! Sa place est celle d'une instance du dialogue social où l'on parle du travail réel, de son organisation. Le préventeur est un acteur fonctionnel, il conseille l'employeur, alors que le CHSCT doit prendre du recul sur les pratiques. Ceci dit les textes réglementaire eux-mêmes peuvent poser question, ainsi les visites du CHSCT sont dénommées "visites d'inspection", mais cette appellation instaure la méfiance des services visités et de la direction alors qu'il faut, au contraire, établir des relations de confiance, de dialogue avec cette instance.
réalisé par Sophie HOGUIN pour ActuEL–HSE