Quels sont les risques qui apparaissent dans la croissance d’une entreprise? Comment une organisation qui fonctionne bien peut-il devenir pathogène? Il n’y pas jours qui passe sans que les medias nous racontent de fusions et acquisitions de grand groupes qui créent des difficultés énormes, voir même insurmontables. Claude de SCORRAILLE, dans son ouvrage Quand le travail fait mal, reprend une réflexion de Paul Watzlawick et nous donne un aperçu sur la nature de ces problématiques.
Extrait du livre "Quand le travail fait mal" :
Un système organisationnel peut-il devenir pathogène ? Cette question a fait l’objet d’une intervention de Paul Watzlawick dans les années 80[1]. Sa réflexion l’amène tout d’abord à préciser qu’un ordre interne est nécessaire et qu’il se maintient à l’aide de la présence d’un « petit » désordre.
L’excès d’ordre fait perdre le contrôle
alors que l’excès de désordre rend le contrôle impossible
et donne lieu à une réalité chaotique insupportable, et de ce fait dommageable.
Il développe sa pensée en soulignant que c’est la croissance d’un système qui l’expose le plus à l’apparition de pathologies car le processus de développement ne se perçoit pas ; il se constate a posteriori. Comme tout système qui se développe, l’apparition de nouvelles ressources qu’elles soient humaines, matérielles ou procédurales ne produisent pas forcément plus de performance de l’existant. Il est possible qu’un saut qualitatif s’opère en rupture avec le contexte précédent. Pour éclairer ce principe, Watzlawick prend l’exemple de l’oxygène et de l’hydrogène qui, en se reliant d’une manière particulière produisent de l’eau. L’eau possède des caractéristiques et des propriétés différentes de ses molécules constituantes que sont l’oxygène et l’hydrogène. Et il serait vain d’épancher notre soif si nous avalions une portion d’oxygène à la suite de deux d’hydrogène ! L’eau n’est pas une addition de deux substances ; elle est le produit d’un système interactionnel particulier de ses composants. L’eau est ainsi une “qualité émergente” d’un système particulier, elle est autre chose que ses constituants. Ce saut qualitatif est le reflet d’un changement qui se constate après qu’il a eu lieu et avec lequel il convient désormais de fonctionner. Ce principe est à l’oeuvre dans notre vie, nous construisons une réalité par les interactions dans lesquelles nous sommes impliqués. Cette réalité devient alors le théâtre de ce que nous y vivons et au sein duquel nos ajustements participent à rendre pérenne cette forme de réalité ou au contraire à la faire évoluer. Dans le cas où cette réalité présente une difficulté à certains de ses membres, ceux-ci se mobilisent afin d’y réagir avec leurs moyens habituels. Quand ils ne parviennent pas à la surmonter, ils font alors face à des difficultés qui révèlent que leur stratégie de résolution de problèmes est inefficace. C’est à partir du moment où les solutions dysfonctionnelles se répètent qu’apparaissent des symptômes pathologiques. Watzlawick évoque également des règles relationnelles aux effets toxiques pour leurs protagonistes quand ils sont pris dans un jeu où seulement l’un des deux peut gagner. Avec pour conséquence, quand ce type de jeu s’installe, d’user la relation jusqu’à la rupture. Qui peut combattre sans fin ? Pyrrhus, célèbre adversaire des Romains, s’est un jour exprimé en déclarant « encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus ». Ses propos ont traversé les siècles et font particulièrement sens à certaines situations de travail actuelles. Que dire du jeu relationnel entre une direction et ses partenaires sociaux quand la nature de leurs interactions se réduit à une confrontation ? Ils n’arrivent plus à se considérer comme des partenaires car leur façon d’interagir les fait s’envisager comme des adversaires, chacun veut gagner sur l’autre car il croit savoir mieux que l’autre ce qui est bon pour le système. Quand les règles deviennent trop nombreuses, elles finissent par canaliser la circulation de l'information selon des sillons rigides, et imposent une conformité donnant lieu à un appauvrissement des comportements et à la standardisation de l’outil de travail. Or celle-ci est toujours loin du concret, loin de la nécessité qui s’exprime dans l’action de l’opérationnel et qui requiert un ajustement à celui qui agit.Rigide et non modifiable, ce système de règles peut aliéner la construction sociale et neutraliser les régulations que seuls les acteurs insufflent. Dans ce cas, un système pathologique prend le pas sur les interactions.L’idéologie bureaucratique poussée à son paroxysme par un idéal de contrôle selon des règles et procédures standardisées devient alors pathologique. De la même manière, il faudra se méfier d’un idéal d’autonomie revendiqué par les entreprises libérées très en vogue à l’heure actuelle. Car ces idéaux, antagonistes en apparence, poursuivent dans le fond une même conception de la finalité du travail, une conception de la performance mesurée à l’aune de sa valeur marchande ou réduite à sa dimension financière. La pathologie, quand elle apparaît et se maintient, vient indiquer que des mécanismes de régulation sont soit absents soit inefficaces.