Je vais vous présenter de manière succincte un sujet qui est vaste lourd et chargé, qui est un des sujets sur lequel nous travaillons au réseau Orphéeé : le harcèlement à l’école. Je vais l’aborder par l’angle d’une notion : l’escalade symétrique et l’escalade complémentaire. Cette notion l’on doit à Gregory BATESON on les trouves dans le livre « Vers une écologie d’esprit ».
Pourquoi je pars de là? Parce que la plus part du temps dans les problématiques de harcèlement, on assiste à des escalades complémentaires; il y a des exceptions dont je parlerai.
L'ESCALADE COMPLÉMENTAIRE
Pourquoi cette escalade complémentaire ?parce que lorsqu’on est harcelé par quelqu’un, lorsqu’on est maltraité, on croit que, en étant de plus en plus gentil, de plus en plus soumis, de plus en plus docile, de plus en plus concilient, de plus en plus serviable, de plus en plus discret voir de plus en plus invisible, on arrivera à faire en sorte que le harceleur se calme et devienne respectueux.
C’est une erreur qui est nourrie d’ailleurs souvent par l’attitude du harceleur, qui peut laisser croire qu’effectivement quand on s’écrase un peu, il redevient gentil.
Mais c’est faux puisqu’il profite simplement de ce tout petit temps de latence, pour donner l’illusion que cela fonctionne et ensuite, repartir dans une escalade de la violence.
L’escalade complémentaire c'est un mécanisme où deux interlocuteurs ou bien deux pôles de la relation ont des comportements opposés et complémentaires.
D’un coté il y a la domination par exemple, de l’autre coté, la soumission, c’est le cas dans le harcèlement.
L'ESCALADE SYMÉTRIQUE
Il y a aussi un autre type d’escalade : l’escalade symétrique où les deux pôles de la relation ont exactement le même comportement, ou des comportements similaires. Dans ce cas, on croit que pour stopper la violence de l’autre il faut aller encore plus loin que l’autre, en criant encore plus, en s’armant encore plus que lui.
Donc on est pris dans une escalade qui monte en puissance qui va jusqu’à l’explosion du système.
Dans les deux cas on aboutit à l’explosion du système, c’est à dire à quelque chose qui peut être très dangereux.
Aujourd’hui, je vais approfondir un peu le cas de l’escalade complémentaire puisque c’est le cas de figure le plus courant, et le cas de figure le plus classique que nous rencontrons dans les écoles.
Je précise pour ceux qui ne connaissent pas bien l’école de Palo Alto, que ce qu’on appel le client c’est celui qui est prêt à payer le prix du changement, puisque l’école de Palo Alto travaille de manière systémique, on regarde dans le système où est le meilleur levier du changement et on regarde où est la demande.
Le meilleur levier du changement s’est là où il y a une demande de changement.
Donc dans une problématique de harcèlement, très souvent la tentative de solutions habituelle des institutions est d’essayer d’impacter l’enfant harceleur. Donc on va le punir, lui faire la morale, le sanctionner, l’écarter, mais lui n’est pas du tout client, il n’a pas de problème.
En revanche, l’enfant harcelé a un problème, il souffre mais ça ne veut pas dire qu’il est client puisque il se sent dans un premier temps totalement impuissant.
Donc il est d’abord plaignant, et il va falloir effectivement utiliser la communication stratégique pour le clientéliser, le mobiliser. Le thérapeute utilise une communication stratégique avec l’enfant pour lui montrer qu’il peut avoir du pouvoir sur l’interaction. On peut montres ça avec des méthodes différentes selon l’âge de l’enfant évidement, par exemple en lui racontant quelques petites histoires d’enfants pour lui montrer comment on travaille.
Ça peut être en lui proposant d’emblée une solution pour voir comment il réagit, tout en lui disant que c’est bien sûr trop tôt pour qu’il la puisse mettre en place et que d’abord il faut voir tous les risques qu’il y a.
Ça peut être aussi en lui disant qu’il n’a pas le choix, parfois dans des situations il faut être un peu plus brutal.
Il faut pouvoir lui montrer que c’est possible en tout cas, que son horizon des possibles s’élargisse et qu’il puisse arriver à dire : « je peux finalement avoir un impact sur la relation même si pour le moment je ne me sens pas prêt, mais c’est possible. »
Dans un deuxième temps il faut l’amener à être prêt à ça sur un plan émotionnel parce que être client s’est donc être capable de payer le prix du changement. Tout changement se paye : en risques, en renoncements, en inconvénients.
Nous, on doit gérer les émotions de ces enfants qui arrivent avec des peurs, de la peur, de la honte, grandes angoisses, et on leur demande en plus de faire un effort, on leur demande de porter le prix du changement. C’est très lourd donc il faut absolument qu’on travaille sur ces émotions là.
Une des émotions est la peur du risque puisque ils se disent : non mais c’est pas possible, je ne pas pas me confronter à ce harceleur, il est trop puissant, il est trop validé par les autres…
Il faut l’aider à traverser ça, en imaginant : et bien avec lui si tu faisais ça qu’est ce qu’il ferait exactement ? Et en essayant de concrétiser au maximum les interactions et en lui demandant éventuellement d’imaginer ça sans le faire. C’est un travail de thérapie pour apprendre à se confronter à sa peur et la voir diminuer d’intensité.
Parfois, c’est un travail plus sur le renoncement qu’il faut faire pour aider l’enfant à être capable de renoncer à une relation maltraitante et donc à accepter une forme de solitude.
Ça c’est un travail de base extrêmement important qui permet à un moment d’avoir un enfant qui est client, qui a envie de faire les tâches qu’on lui donne et qui change quand même de posture, qui voit ses émotions se modifier, qui change de vision du monde.
La communication stratégique avec l’enfant c’est pour lui permettre de changer de posture, de changer de vision du monde.
Comment sortir de cette escalade complémentaire ?
On arrive à la deuxième étape qui est de sortir de cette escalade complémentaire et de lui permettre, au lieu de descendre de plus en plus dans la position basse, de remonter dans la position haute.
Pour qu’il puisse faire ça, face à son harceleur on doit vraiment lui donner les méthodes de façon extrêmement précise : les paroles à prononcer, les attitudes à avoir, on doit le guider dans tous ces pas parce que c’est très difficile à faire.
C’est comme un soldat qui va se battre sur un champ de bataille donc il lui faut beaucoup de courage et de lui donner des moyens suffisamment rassurants, sachant que se défendre de manière stratégique ça consiste à utiliser le contenu de l’agression pour construire ensuite un recadrage qui mette l’agresseur mal à l’aise.
Donc si on utilise autre chose que le contenu de l’agression, si on attaque le harceleur avec autre chose que le contenu de l’agression on risque de faire un faux pas et d’être prix en faute soi même.
Par ailleurs pour l’aider à sortir de l’escalade complémentaire et bien il faut parfois tout simplement, comme on l’avait dit, l’aider à renoncer à la relation, parfois c’est un mixte des les deux. Ce travail de renoncement à le relation est un travail qu’on fait non seulement au cabinet, mais pour lequel on accompagne aussi l’enfant dans sa relation avec le harceleur puisque le harceleur va souvent chercher à maintenir l’enfant dans la relation parce qu’il lui est utile.
Il y a un cas, qui est assez fréquent, où le problème pour l’enfant est aussi l’attitude de ces parents. C’est à dire, que les parents sont tellement mobilisés pour sauver leur enfant de la maltraitance, que l’enfant ne veux plus être client lui même.
Les parents prennent trop de place ils sont à clients à sa place, il y a en général deux cas de figures:
- il y a les parents qui agissent directement sur l’agresseur, qui vont gronder l’enfant en question, qui vont passer un coup de fil à la famille, qui vont eux même se montrer souvent assez agressifs. Dans ce cas, la plus part du temps, l’enfant est mal à l’aise parce qu’il sent bien que c’est très mal adroit de faire ça, que ça le dévalorise. Il va se taire et il dira plus rien à ses parents et donc on a un enfant dont on ne connaît même plus les souffrances. Quand l’enfant arrive à compter systématiquement sur ses parents ou sur les adultes en général pour le sortir d’affaire, il a du mal à être mobilisable lui même.
- il y a ces parents qui ont entendu parler du fait qu’il fallait sortir de l’escalade complémentaire en reprenant une position haute. Donc il envoient à leur enfant l’injonction de se défendre…
Ces parents là malheureusement n’aident pas du tout leur enfant. L’injonction se traduise « je sais mieux que toi , donc tu dois faire ça. » C’est une affirmation extrêmement dévalorisant en faisant ça, les parents malheureusement entrent dans le même système de maltraitance que le harceleur lui même.
Quand les parents entrent de ce genre de tentative, malgré tout l’amour qu’ils portent à leur enfant, ils participent à sa souffrance et il faut, dans ce cas, travailler avec les parents pour qu’ils arrêtent complètement de faire ça et même qu’ils fassent l’inverse.
LE CAS
Je vais vous raconter une petite histoire sachant que c’est une possibilité d’arriver à l’escalade symétrique mais ce n’est pas la seule :
C’est l’histoire de Lucie qui a une sœur aînée que nous avons suivit pour une problématique de harcèlement, et donc qui a apprit avec nous à se défendre face à son agresseur de manière stratégique et efficace, et qui a dit à sa petite sœur : « pas de soucis tu vas voir on va la moucher et puis elle va arrêter de te nuire comme ça » .
Et donc, ils ont commencé a imaginer les manières de contrer la harceleuse, qu’on appellera Manon. Du coup Lucie est entrée dans une telle escalade symétrique avec Manon, que les garçons de sa la classe s’amusaient à compter les points entre elles. Sauf que c’était toujours Lucie qui était perdante, donc elle n’y gagnait pas grand chose et surtout elle se retrouvait très isolée parce que Manon avait pas ailleurs beaucoup de charisme.
Il faut savoir que Manon maltraitait Lucie en médisant d’elle essentiellement et en disant qu’elle n’était pas fiable, qu’elle était une menteuse et qu’elle cherchait à profiter des gens… Lucie était coincée dans une escalade symétrique, il fallait absolument redescendre en position basse.
Et pour arriver à comprendre se qu’il fallait faire, il a fallu remonter vraiment à une sorte de scène originelle entre Manon et Lucie, qu’elle a fallu chercher par questionnement stratégique avec Lucie parce qu’elle avait pas trop envie d’y revenir.
En fait, à peu près un an avant cela, Manon, lors d’une petite réunion avec les copines, avait dit en regardant Lucie dans les yeux : « je me demande dans le fond si je préfère pas les filles » et Lucie avait pris un air horrifié, dégouté, enfin ça lui avait fait peur. À partir de ce moment là Manon est devenue maltraitante avec Lucie.
Donc une fois qu’on à pu avoir cet élément là, on a tout simplement demandé à Lucie d’aller s‘excuser en fait, au sujet de cette scène et dire à Manon : « je comprend que tu me craigne et je voulais simplement te dire que je suis pas fière de se que j’ai fais ce jour là. »
Dans ce cas, ça à suffit à calmer Manon complètement.
C’est une histoire bien spécifique, je n’aime pas qu’on généralise, et je conclurais en disant que finalement il faut faire très attention à la rigidité des protocoles, il faut toujours garder toute la finesse de l’investigations du problème avec une approche anthropologique.