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      Covid 19 - De la peur à la détresse émotionnelle, réduire le risque du syndrome de stress post-traumatique

      par Claude de Scorraille
      27 Mars 2020 

      Ma précédente intervention portait sur la façon de prendre en charge la détresse émotionnelle pendant la phase de confinement liée au covid 19.

      Mon propos visait à repérer à partir des principaux facteurs de stress en jeu les émotions qui peuvent surgir : la peur, la colère et la douleur dans la perspective de poser un cadre pour favoriser leurs régulations.

      Je vous propose à présent d’aller plus loin dans la compréhension de la détresse émotionnelle dans la perspective de neutraliser les conséquences psychologiques qui nous menacent dans l’après crise, en particulier le syndrome de stress post-traumatique.

      De la peur à la détresse émotionnelle

      Pour Nardone la peur est une perception qui déclenche aussitôt une émotion et cette émotion qui accompagne la perception va provoquer une réaction psychophysiologique. On a d’un côté la perception-émotion de l’autre une réaction psychophysiologique, le corps est impacté et à partir de là l'anxiété émerge et se maintient si les mécanismes de régulation sont perturbés.

       

      De l'anxiété au trouble panique

      Quand l'anxiété perdure et qu’elle atteint un certain seuil, elle peut devenir en soi la cause de la peur. S’installe alors une boucle circulaire entre la peur en tant que perception et l'anxiété en tant que réaction psycho-physiologique.

      L'anxiété nous pousse à combattre, nous maintient en alerte pour faire face à la peur perçue. Mais si on a des difficultés à cohabiter avec l’anxiété - Il est en effet désagréable de la supporter quand son niveau est élevé - on va tenter de la juguler par des conduites de contrôle ou d’évitement et en cas d’insuccès les troubles paniques apparaissent.

      De l’angoisse à l’impuissance

      Quand une personne se sent angoissée, cela va être différent, ce qui la fait souffrir et donc la met en détresse est produit par l’état de mal-être qu’elle perçoit et qui se traduit chez cette personne par une position cognitive et émotionnelle négative par rapport à ses capacités à faire face à des événements du futur.

      Elle a la certitude que les choses se passeront mal et qu’elle n’a et n’aura aucun contrôle pour y faire face de manière satisfaisante.

      C’est comme si elle était condamnée à une destinée effroyable à laquelle elle ne pourrait échapper. Elle est figée dans une posture d’attente oppressante du drame qu’elle redoute et sur lequel elle a un sentiment d’impuissance.

      Elle se vit comme impuissante et cela finit par être très déprimant.

      Pour résumer, l'anxiété nous pousse à combattre, nous maintient en alerte, mais si nous nous sentons condamné et sans arme nous nous sentons angoissé.

      Les études qui ont étudiées des mises en quarantaine, rapportent que certains facteurs de stress stimulent l’angoisse.

      La durée du confinement

      On a d’abord la durée du confinement, plus le confinement dure plus cela impacte et produit une dégradation de la santé mentale.

      La stigmatisation de certaines populations

      Après 15 jours de confinement, on commence à observer des stigmatisations toxiques.
      Certains soignants par exemple, sont sommés de déménager par leurs voisins qui craignent d’être contaminés par le virus. Ce phénomène est largement observé dans les différentes études portant sur les situations de confinement.
      La stigmatisation en plus perdure après l’arrêt du confinement. Ceux qui en font l'objet sont rejetés.
      Dans notre situation actuelle, les personnes les plus exposées sont essentiellement celles qui sont les plus au contact du virus, c'est à dire les personnels de santé qui sont au contact des malades : médecins, infirmiers, brancardiers, aides soignants.

      Le risque de stress post-traumatique

      Je voudrais à présent orienter mon propos sur le risque de syndrome de stress post traumatique une fois traversée l’épreuve existentielle et lorsque la résilience tant au niveau individuel que collectif peine à se mettre en place.
      Ce risque peut toucher particulièrement la population de ceux qui sont en première ligne dans la guerre déclarée contre le coronavirus par le président Macron.
      Les professionnels de la santé ne ménagent pas leurs efforts pour apporter leur assistance aux malades. On peut craindre pour eux un épuisement physique mais il en est un autre qui les guette qui est de souffrir d’un épuisement psychophysique, alimenté non pas en raison des conditions difficiles qui les touchent (manque de moyens, horaires de travail dantesques, etc.) mais en en raison d’une surcharge émotionnelle qui n’est pas suffisamment prise en compte dont les conséquences seront perçues bien après la crise. Il est possible que 9 % d’entre eux soient atteints 3 ans après la crise de symptômes de dépression élevés.

      Le métier de soignant.

      L'une des particularité du métier de soignant est de faire preuve d’abnégation au nom du soin, la dévotion est une caractéristique du métier et incite le soignant à s’engager bien souvent au-delà de ses limites. Cette caractéristique est en plus renforcée par les ovations que nous leur donnons, en saluant collectivement leur engagement tous les soirs, en les considérant comme des héros. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut arrêter de témoigner notre soutien à leurs efforts, je mets en garde sur le risque de ne pas suffisamment prendre en compte une détresse émotionnelle qui avance de manière voilée où la honte peut venir prendre le relai de la peur et accentuer l’angoisse de manière sournoise et pérenne.

      Devenir rival de soi-même, le moteur de la honte

      La honte est une émotion morale, qui est en lien avec l’honneur. On ressent de la honte lorsqu’on n’est pas à la hauteur, soit de ses propres exigences soit de celles qui sont attendues par les autres ou qui sont définies par la culture.
      Dans la situation actuelle, il peut être difficile pour ces acteurs d’être perçus à la fois comme des héros et des personnes dangereuses en cela qu’elles sont susceptibles de nous contaminer.
      Le risque majeur pour un soignant est que parallèlement à ses efforts, le succès qu’il rencontre dans sa capacité à se mettre à l’épreuve l’amène à devenir rival de lui-même.
      C’est précisément l’un des moteurs de la honte. Coriolan un héros illustre de l’antiquité romaine est décrit par Plutarque de cette façon : ” L’homme doué d’une âme forte et généreuse puise dans les premiers honneurs qu’il reçoit une nouvelle ardeur pour en mériter encore… Il aurait honte de trahir sa gloire, en ne la surpassant pas par de plus grands exploits”.
      Le problème surgit lorsque le soignant se met à ressentir des signaux de perte de contrôle et que rien qu’il fasse ne participe à les corriger. Le soignant se sent alors en échec et honteux de l’être car s’il ne tient plus, maintenant ou plus tard, pétri de honte il aura tendance à le vivre comme un échec personnel qui viendra percuter son identité et son estime de soi. Il SE dira “je ne suis pas digne d’être aimé”, “je suis minable d’être autant fragile”.

      L’enlisement dans la honte par le maintien du secret

      le secret participe à l'émergence de la honte dans la durée. On se tait pour se protéger, on se tait pour se protéger des conséquences indésirables qui pourraient résulter d’une révélation. Parler c’est prendre le risque d’être rejeté et cette perspective est effroyable. Non seulement le honteux a honte mais en plus il a honte d’avoir honte et c’est ce qui l’incite d’autant plus à se terrer dans le secret.
      Pour contrecarrer l’effet délétère de la honte il est important de donner un soutien psychologique à ces personnels pour leur apprendre à faire quelque chose pour eux-mêmes et pas seulement pour les autres.

      Les enfants

      Le risque de syndrome post-traumatique ne concerne pas seulement les professionnels de santé. Tout le monde peut y être soumis. Les enfants sont également touchés par ce risque. Beaucoup d’enfants ont du mal à donner du sens à la situation, ils peuvent aussi craindre pour leurs parents.

      Le paradoxe de la sur-protection

      Parfois, la peur de l'enfant qui se manifeste peut devenir si exaspérante qu'elle amène l'adulte à contredire ses paroles et à éloigner l'enfant de l'objet craint.
      Un comportement trop protecteur des adultes se retrouve alors en contradiction avec ce qu'ils avaient prêché jusqu’alors, lorsqu’ils disaient “il n'y a pas de quoi avoir peur !”.
      En d'autres termes, l’adulte adopte une communication contradictoire puisqu’il nie verbalement la peur pour ensuite adopter un comportement de protection lequel comportement confirme de manière non verbal l’existence de la peur.
      Cette forme de communication est une double contrainte qui crée d'autres incertitudes puisque le message transmis confirme indirectement à l'enfant qu'il y a effectivement de quoi avoir peur. L’enfant dans ces conditions peine à être rassuré et mesure son incapacité à se rassurer.
      Donner la possibilité aux enfants d’exprimer leurs inquiétudes est une solution qui leur permettra de traverser, comme pour les adultes les émotions pénibles qui les submergent.

      Le principe de résilience

      Plus généralement, ce qui peut stimuler la résilience dès à présent c’est de pouvoir sortir d’une mise à l’épreuve qui serait trop forte.
      Quand on vit une expérience et que sa charge émotionnelle est trop intense, on peut en réaction se couper de ses sensations (la peur, la colère, la douleur, la honte) par un processus de dissociation car cohabiter avec ces émotions là nous est insurmontable. De nombreux professionnels sont dans cette situation, les journalistes, les gendarmes, les policiers, les pompiers, mais aussi les transporteurs, les livreurs et bien sûr tous ceux qui travaillent dans les commerces, ou ailleurs, ceux qui travaillent vaillamment et sans être considérés comme exerçant une activité d’utilité publique et sanitaire au vu des circonstances.
      Il leur arrive de se trouver coincés dans une réalité comme s’ils étaient pris dans un jeu où se confronter au monde réel vaut zéro mais éviter de s’y confronter vaut double peine. On se retrouve alors prisonnier dans une impasse où quoique l’on fasse éviter ou se confronter est un jeu dans lequel on perd quoi que l’on fasse. On finit alors par éprouver une douleur sans fin et qui peut perdurer quel que soit le contexte, que celui-ci présente une menace réelle ou que ce ne soit plus le cas.

      Pour stimuler les ressources de résilience, il est important de pouvoir cohabiter avec la vulnérabilité qui accompagne l’expérience vécue. Car c’est en étant capable d’être vulnérable que l’on est en mesure d’être fort. L'acceptation de la vulnérabilité nous permet de mettre en place les actions dont nous avons besoin. Celles qui sont immédiatement possibles et accessibles, même si elle nous paraissent insuffisantes.

      Je voudrais terminer sur les propos d’une de mes patientes qui m’a confié qu’elle avait pris conscience que quand elle allait mal, ce qui la maintenait dans son mal-être était de rester à son écoute et non pas d’être à l’écoute. Et cela faisait toute la différence...

      Merci !

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